Interview écrite

9 juillet 2013
Posté par
Flora

Rencontre avec Mireille Le Liboux, auteur de  » Retour de Chandigarh  »

Mireille_Le_Liboux_EdilivrePouvez-vous introduire, en quelques mots, votre ouvrage ?
J’ai écrit ce livre suite après avoir passé un mois en Inde du nord en 2012. C’était mon troisième voyage dans le sous -continent indien, les deux premiers étant plus courts. Je m’étais fait la promesse que dès mon départ en retraite, j’y retournerai pour une durée plus longue. L’écriture de ces impressions m’a permis ensuite d’approfondir ce que j’avais perçu et de le faire partager, comme je l’écris dans le prologue : « C’est en cherchant les mots pour la décrire que la réalité se révèle, c’est par ce filtre, ce philtre, que l’instant, débarrassé de sa temporalité, s’inscrit dans la profondeur pour nourrir et approfondir notre vie. C’est le temps retrouvé et avec lui la vraie vie. Écrire, décrire le réel pour le faire exister. »

S’agit-il de votre premier roman ?
Ce livre n’est pas un roman mais comme le sous-titre l’indique la relation de mes impressions sous forme de courts chapitres, rédigés majoritairement en prose et incluant quelques poèmes, soit en prose, soit en vers libres. C’est la rythmique qui m’a dicté les choix d’écriture. C’est mon deuxième livre de voyage chez Edilivre, le premier, Rendez-vous à Skye, était un roman de voyage en Écosse. Il n’y a aucune fiction dans celui-ci, le « je » qui parle est à la fois la narratrice et l’auteure.

Votre ouvrage est-il un hommage à l’Inde ?
Oui, bien sûr. D’abord par le titre. Retour de Chandigarh est un clin d’œil au livre qui m’a accompagnée tout au long de ce voyage devant se terminer à Chandigarh et qui m’est tombé sous les yeux avant de partir, qui s’est offert à moi, dirais-je : Loin de Chandigarh de Tarun Tejpal, un livre fort, moderne, loin des clichés que nous pouvons avoir, mêlant tendresse, humour, auto-dérision et réflexion philosophique. Ensuite, voyager en Inde relève de l’expérience initiatique : c’est parfois épuisant, l’instant d’après magique, c’est la découverte et l’étonnement, cela nécessite un lâcher-prise total, une ouverture poétique au monde, sachant qu’on peut y trouver le meilleur mais aussi le pire. Il faut accepter cette idée au départ et laisser nos repères occidentaux de côté.
Je termine mon ouvrage par un questionnement du poète François Cheng concernant la beauté : malgré tout ce qui peut être négatif et qu’il n’est pas question de nier, c’est toujours l’impression de beauté qui a dominé pour moi, qui me reste ancrée dans l’esprit et le cœur, et qui m’a incitée à partir un mois seule en Inde du sud en janvier 2013. Ce qui est passionnant aussi, c’est que c’est un des rares pays au monde où il n’y a pas eu de vraie rupture historique sur les plans culturel et religieux, comme cela a pu se passer en Chine par exemple. Même les enfants connaissent les personnages du panthéon hindou les plus anciens par les bandes dessinées, les dieux de l’Inde védique ont évolué au fil des millénaires mais sont toujours présents. C’est également un pays passionnant par le mélange des cultures et des langues qui cohabitent et parfois s’entrecroisent : Bouddha est devenu un avatar (une réincarnation) de Vishnou, Jésus et Mahomet sont aussi des avatars de divinités hindoues.

C’est aussi une mémoire vivante du monde Indo-européen qui a permis à Georges Dumézil de prouver, par l’étude comparative des mythes, que les anciens Celtes étaient la population la plus proche de l’Inde védique. Ce qui explique que l’on peut voir des « triskells » sur les piliers d’un des plus anciens temples du Tamil Nadu, Chindambaram.

Comment décrivez-vous ce pays ?
J’y traite de thèmes variés qui vont de la circulation routière aux animaux sacrés, toujours en référence aux lieux visités, que ce soit au Rajasthan, au Penjab ou à Dharamsala. J’insiste de manière documentée sur ce qui peut nous surprendre en y mettant poésie ou humour, selon les cas, mais toujours avec bienveillance. J’y raconte mes tribulations dans les cars en montagne, l’étonnement au temple des rats, en établissant ensuite un lien surprenant entre rats et poètes ; j’y évoque un temple encore plus étonnant que celui des rats… Il y est  question du troisième sexe, de l’empire Moghol avec l’histoire de Shah Jahan et du Taj Mahal, des Sikhs avec le Temple d’Or d’Amritsar, etc.
Savez-vous quel est le lien entre la vache sacrée hindoue, le poète Arthur Rimbaud et l’Armorique ? J’ai trouvé une filiation qui coule de source…

Portez-vous un regard sociologique sur la société indienne ?
Je n’aurais pas cette prétention, j’ai plutôt un regard poétique, au sens d’être un réceptacle d’impressions qui pourront éventuellement donner lieu à une restitution par le matériau du langage. Je n’ai garde de me prendre pour une poète ! Mais je témoigne de manière simple de « choses vues » pour citer Victor Hugo, ou entendues, comme la situation des transsexuels ou celle des petites filles. Sachant que l’Inde est vaste et que d’un état à l’autre, les situations et les lois peuvent être très différentes. Et aussi que des lois vertueuses ne sont que très peu respectées, hélas !

Quels auteurs de la littérature de voyages vous inspirent ?
Je vous remercie de cette question car pour moi, il n’y a pas de vrai voyage sans compagnonnage littéraire. Et voyage rime avec vagabondage, visage du paysage… Je commencerais par Montaigne : « S’il ne fait pas beau à droite, je prends à gauche; si je me trouve peu apte à monter à cheval, je m’arrête… Ai-je laissé quelque chose à voir derrière moi ? J’y retourne ; c’est toujours mon chemin. » Ensuite, je pourrais citer Kenneth White, le grand poète-penseur qui vit sur la côte nord de la Bretagne et dont la géopoétique m’a facilité l’ouverture au monde, que ce soit par ses ouvrages théoriques (Le plateau de l’Albatros), poétiques (Mahamudra) ou de voyages (Les cygnes sauvages) pour ne citer que quelques exemples. Victor Segalen, bien sûr, le poète-voyageur brestois, dont le goût du Divers m’a toujours guidée et ici en particulier le long poème inachevé Thibet. Dans mon dernier voyage, j’avais emporté L’usage du monde de Nicolas Bouvier. Un autre écrivain-voyageur contemporain et d’origine bretonne me sert de guide et de référence, Jean-Luc Coatalem avec sa Consolation des voyages ou Je suis dans les mers du sud, livre dans lequel il part sur les traces de Segalen, lui-même recueillant ce qui restait de l’œuvre de Gauguin, l’initiateur de « l’École de Pont-Aven », qui venait de mourir…

Un dernier mot pour vos lecteurs ?
Une citation de François Cheng dans mon dernier chapitre : « L’univers n’est pas obligé d’être beau, et pourtant il est beau » Cette phrase a été reprise par l’astrophysicien Trinh Xuan Thuan dans Le Cosmos et le Lotus. Albert Camus déclare aussi dans Le Désert : « Le monde est beau et hors du monde point de salut. » Alors, je vous souhaite d’être sensibles à cette beauté offerte, où qu’elle soit, loin ou tout près, dans la feuille ou dans l’étoile, en ouvrant grand les yeux !