Interview écrite

2 novembre 2011
Posté par
AA Victoria

Rencontre avec… Bernard DOMEYNE


Bernard Domeyne, vous publiez dans la collection « Classique » deux érotiques, A piacere, suites indiennes et Sanza tempo, final érotique avec quintette. Pourquoi avoir voulu vous essayer à la littérature érotique, qui est souvent mise à mal par la censure et un certain puritanisme? Pour le lecteur assidu que je suis, la littérature érotique est un genre comme un autre, qui a produit des navets mais aussi des chefs-d’œuvre. À partir du moment où cela ne me posait pas de problème moral, et que j’étais en veine d’inspiration, pourquoi ne pas m’y essayer ? Trois personnages dominent ces nouvelles érotiques qui forment une trilogie : Adrien, un maître SM, et deux soumises, Estelle et Maureen. En effet. Tous les goûts sont dans la nature et les fantasmes de domination sado-masochistes sont assez courants… J’avais abordé le thème dans mon premier polar, Petits meurtres entre énarques, avec les personnages d’Emilie Combette et d’Al Chebli… Je voulais approfondir. J’ai donc créé les personnages d’Estelle et d’Adrien, puis celui de Maureen.

Certains personnages de ces nouvelles érotiques ont été repris dans vos polars. Tout à fait : le commissaire Albertini, de la Brigade des Stupéfiants et du Proxénétisme, un collègue de Addamah et Manset, les héros de mes aventures policières ; Estelle, qui apparaît longuement dans Le crime de Loyasse… Albertini est amoureux d’elle, et Estelle le rejoint en France à la fin de A piacere. Mes personnages forment une grande famille où les destins s’entrecroisent. Et ce n’est probablement pas fini.

Parlez-nous un peu de ces nouvelles érotiques… Decrescendo est un huis clos entre deux personnages, un texte à deux voix (ou comment les deux protagonistes – Estelle et Adrien – voient l’enfermement et la soumission d’Estelle, puis l’évolution de leurs rapports ?). A piacere est la suite « logique » d’un polar, Le Crime de Loyasse. Adrien y passe au second plan ; je m’intéresse plus particulièrement à Estelle et Maureen. Sanza tempo est comme son sous-titre l’indique, le bouquet final, la fin de la trilogie.

On sent qu’entre Decrescendo, A piacere et Sanza tempo, il y a une montée en puissance. En effet : dans A piacere, par exemple, Estelle sera vendue, changera de maître, connaîtra la prostitution, tournera des films pornographiques, etc. L’escalade, c’est la loi du genre ! Chaque auteur fixe sa propre limite à ne pas franchir : la mienne consiste à m’auto-censurer en choisissant systématiquement le happy end : sans doute le dois-je à la pratique du polar : à la fin, le méchant (ou la méchante) et puni(e) et le bien (sous la forme des policiers) triomphe.

Vous publiez donc aujourd’hui le dernier opus de la trilogie, Sanza tempo. Estelle partie, je voulais voir ce que devenait Adrien… Plus affecté qu’il veut bien le reconnaître du départ de sa soumise attitrée, il se met à collectionner les conquêtes féminines… Quelque part entre le Dom Juan de Molière (Tout le plaisir de l’amour est dans le changement) et le Casanova de Fellini, sa quête, pour être séduisante, tient surtout de la fuite en avant… C’est d’abord la blonde évanescente Stacey, une oie blanche ; ensuite, la Noire Aïssa, une battante pour qui la vie est un combat ; enfin la fragile Maria Carmen, une amie d’Aïssa, moderne incarnation d’Alice de Lewis Carroll… Eros et Thanatos sont indissolublement liés ; Adrien qui l’avait oublié l’éprouvera à ses dépens et sa quête insatiable s’interrompra brutalement…

Que répondriez-vous à ceux qui vous reprocheraient votre vision de la femme ? Je leur répondrai là aussi que c’est la loi du genre. Je leur répondrai Histoire d’O (en vente dans toutes les bonnes librairies) dont je rappelle qu’il décrit la mise en esclavage, le dressage et le marquage au fer rouge d’une jeune femme, qui sera vendue à un proxénète et qu’il a été écrit… par une femme, Pauline Réage. Je ne prétends pas avoir l’élégance stylistique de Pauline Réage, mais je ne résiste pas à vous donner lecture d’un extrait de la préface qu’en a fait Jean Paulhan (alors secrétaire perpétuel de l’Académie Française, excusez du peu) : « Enfin une femme qui avoue ! Qui avoue quoi ? Ce dont les femmes se sont de tout temps défendues (mais jamais plus qu’aujourd’hui) ; que tout est sexe en elles, et jusqu’à l’esprit. (…) Qu’elles ont simplement besoin d’un maître, et qui se défie de sa bonté… »

Pour ces érotiques, vous utilisez un pseudonyme ; pourquoi ? J’écris sous mon vrai nom des polars et des romans historiques. L’usage d’un pseudo sert à éviter la confusion des genres : je n’ai pas envie qu’une gamine ou un gamin, en tapant mon vrai nom sur un moteur de recherche, tombe sur des textes érotiques.

Je vous remercie.