Rencontre avec...

30 août 2011
Posté par
Marie

Rencontre avec Sylvain Gau-Gervais

Sylvain Gau-Gervais, vous avez publié deux recueils de poésie chez Edilivre. Comment en êtes-vous venu à la poésie ?

Je n’y suis pas venu, à la poésie, c’est elle qui m’a mordu le flanc, avec surprise, comme une chienne. J’étais jeune. D’un coup, pareil à la rage qui saisit l’exhérédé, le besoin d’écrire s’est manifesté, d’écrire, a fortiori, de la poésie (genre qu’on devrait toujours expérimenter en dernier, à moitié gâté, revenu, pour des raisons de complexité et de connaissance de soi). Né fou, je le suis demeuré, sans quoi cette chienne ne me serait pas tombée dessus. N’est pas poëte ni écrivain qui veut : je le constate davantage chaque jour.

En fait de question, je le veux, celle-ci ne se pose pas réellement, à moins de n’attendre pour unique réplique qu’une indication banale, car nul ne peut y répondre qui vraiment écrit que par l’argument de la nécessité, qui dissimule parfaitement ses symptômes et origines : lorsque vous attrapez quelque fièvre cynique, vous allez chez le médecin qui saura peut-être préciser d’où elle vient. Toutefois, il n’y a pas de médecin (pas même soi : expert le plus légitime) pour justifier ni expliquer cette maladie qu’est l’écriture, la vraie. Folie ; acromégalie du stylo ; immunodéficience du reste.

 

Voulez-vous faire passer un message dans vos livres ?

Tout d’abord, l’écriture poétique est un acte très égocentrique, même lorsque l’objet examiné est supposé être extérieur au poëte ; c’est en lui qu’il cherche le monde pour le retranscrire, c’est lui et seulement lui qui génère la poésie, nourrie de son impulsion vitale. S’il parle d’autre chose, c’est pour mieux cacher qu’il parle de lui, pour mieux renfrogner sa maladie, pour mieux se noyer, se perdre, oublier qu’il est seul et ravagé, que les phrases qu’il assène sont des souillures du silence sensées par le moi, des projections prédatrices, une multitude d’écrans, de miroirs, de ténues souffre-douleur, prétextes, qui n’ont de but que, de le rendre fantôme derrière ses mots, d’agrandir l’intervalle qui le sépare de ce qu’il est, alors qu’il fouille profond en lui (à cet égard, le choix de la photo n’est ni arbitraire ni fantaisiste). Il réveille son mal en voulant l’endormir ; il s’échappe de lui tout en se rapprochant de son intimité. Paradoxe. Il gire sur et autour de lui-même, s’introspecte. Il est LE Nombril. Ainsi, la poésie n’a pas forcément pour but ni raison d’être le partage, qu’on veuille ou non faire accroire que celui qui publie, donc partage, a écrit en désirant partager. Niet. Ce genre de partage est bien loin de l’essence du texte, c’est-à-dire de la métaphore projectile, qui exprime et s’exprime en fracassant les murs cimentés de poncifs, en allant au-delà de tout, et de soi, écrivain, avant tout. Quoi qu’il en soit de l’écrivain, « on dirait que tout ce qu’on peut espérer c’est d’être un peu moins, à la fin, celui qu’on était au commencement », disait Beckett. Et la pratique – assidue – des mots y aide, maladie, identique à toute maladie, qui éloigne du soi de départ.

Alors, lorsqu’on me parle de message à (dé)livrer, je dis en premier lieu que le livre révèle son auteur, que ce soit ex negativo ou non. Ensuite je n’ai qu’une chose à dire : le lecteur doit opérer un glissement empathique pour se mettre dans la peau de l’auteur et comprendre son raisonnement, sa pulsion lyrique, ce qu’il veut dire et pourquoi il le dit. Il faut qu’il s’approprie le bouquin, comme j’ai déjà pu l’évoquer ; cela requiert un effort certain, je suis là pour l’avouer. Je veux bien admettre en revanche que certaines thématiques sont prépondérantes, sur lesquelles bien sûr ma subjectivité pèse. – Au lecteur ensuite de juger l’orientation de ma vérité. Dans Sombres Ivresses : l’écriture elle-même, la Nature, l’Amour, la femme, la Mort et certains sentiments. De la fine marmelade fleur-bleue somme toute. Traitant également de cela mais avec une différente prise en mains spirituelles, moins candide et immaculé, Délit métaphysique intègre une vision sociale des interactions et relations humaines, qui, aussi, demeurent plus fouillées que dans le premier. – Il ne faut pas oublier non plus qu’un texte travaillé incorpore souvent dans sa maille des sous-entendus, des allusions, des sous-textes métaphoriques, anagogiques, et cætera. Délit métaphysique, en un mot, c’est la Nuit à la portée des bigots ; la Nue à la portée des sociopathes.

Cependant, toute cette glose ne signifie pas que ce que j’écris, ou que la poésie en général, comme les idées reçues et les truismes donnent à croire, est hermétique par principe. Elle demande la plupart du temps un lectorat exigent, qui exige lui-même que la poésie soit exigeante. Paul Valéry a touché quelques mots lucides à ce sujet : « la plupart des hommes ont de poésie une idée si vague que ce vague même de leur idée est pour eux la définition de la poésie. » Le travail du lecteur est constant et intense. On m’a plusieurs fois affirmé que mes textes étaient élitistes : selon moi, non. J’essaie qu’ils soient avant tout littéraires. La confusion se fait encore entre l’élitisme et l’exigence – intime. Si la littérature est exigeante, elle s’inscrit, dans l’acte d’écrire ou de lire, hors du monde social, hors de toute contrainte de placement sociétal. – Pour le contenu, c’est autre chose. Ce paradigme serait tout à la fois biaisé et désespéré. Voilà le vrai message à retirer de la lecture de l’un ou l’autre des deux recueils, Délit métaphysique surtout : chaque texte qui se donne des prétentions littéraires parle entre chacune de ses mailles de ce qu’est la littérature, de son rôle, du rôle des mots, de leur emploi, tandis qu’il y vient s’entremêler.

Toutes ces explications demeurent et demeureront nonobstant superflues. Toujours, toujours. D’autant plus que mes livres contiennent plus de richesses que je n’en connais dessus. Tout ce qu’il y a et avait à dire, faire, jouer et révéler l’est par ce que j’ai écrit, sinon, pourquoi avoir écrit, subi cette peine ? Je n’aime pas les messages au carré ; je ne cours pas après l’autopalimpseste

Pour vous, quel est le rôle d’un auteur ? Pourquoi écrire et être lu ?

Je confierais en guise d’entrée en matière qu’il y existe trois grands types d’écrivain : le poëte, le romancier et le philosophe. Afin de les dissocier, je dirais que le premier frappât d’estoc et le deuxième d’estramaçon. L’un toujours habilement, l’autre parfois tellement quellement. Le troisième frappe sans qu’on sache comment, ou ne frappe pas. Avant tout, je vais m’intéresser à la place de l’écrivain au sens large, quelquefois à celle du poëte plus particulièrement.

En règle générale, nous dirions qu’un auteur sert à dénoncer. Je ne suis pas ce cliché. Il dévoile. Un auteur, et je préfère le mot écrivain – à employer autant que faire se peut –, a pour rôle, dès qu’il fait publier, d’ouvrir les yeux de ses lecteurs, de les ouvrir de haut en bas tout court. Qu’il soit de bonne ou mauvaise foi. Et par là, il modifie l’Homme, puis le monde. C’est tout d’abord un expert de lui-même (Ouroboros qui littéralement s’étouffe), de la grammaire, de la langue, des mots. Il creuse dedans, évide, boit leur substance, s’en imprègne, les émince, les agglomère, les noue, les étire, les métaphorise eux et leur famille, les fait imploser, s’intoxique de leur vérité découverte et intoxique le monde avec. Les vocables servent tout d’abord au poëte plus qu’à un autre à s’éclater lui-même, masochiste poëte, en se forgeant de bigres bijoux tranchants, armes phraséologiques. Il ne respire d’air, par les narines, que celui du verbe. Après il impacte ceux qui lisent ses pages, parce que les mots l’air de rien ne sont pas anodin ; pfft ! ce sont ces petites vesses courbes, pourries d’uranium appauvri, farcies d’ivresse et de désillusion, chéries et détestées de tous. Et lui, derrière cela, l’écrivain, il a crevé asphyxié. Il renaîtra à chaque bouquin, et requerra parfois pour cette raison-ci plusieurs avatars.

Un écrivain est un artiste, et un artiste crée, dévoile, innove, se différencie, se marginalise. Il apporte autant à ses ouvrages que ses ouvrages lui apportent. Selon moi, il n’est pas sur terre pour vendre de l’idéalisme ou pour cracher sur la vie. Il écrit pour se faire part à lui (et à la feuille) de la réalité, pour la réfléchir. Mais il est malade, malade de cette réalité, malade des mots, graphomaniaque, malade de ce qu’il écrit. L’écrivain est un grand malade. Il est fort lucide et fort sagace ; c’est son rôle que d’en tirer des fruits. Libre à lui de les partager, comme j’ai pu l’énoncer. Il n’écrit pas pour se soulager, pour s’aider, ni pour soulager les autres ni pour aider les autres, mais par contrainte, nécessité, et s’il croit se porter secours, il s’en rajoute une couche. Oui, le vrai écrivain n’écrira pas pour se soigner mais pour s’enfoncer encore plus dans la difficulté et l’empêtrement existentiel. Non, la graphothérapie n’est qu’une vaste fumisterie dans le monde de l’art. Elle doit se cantonner aux hospices consolables. Or l’écrivain, c’est un incurable fou – de naissance.

Sa langue reste constamment coincée entre le vouloir dire et le dire, dans l’espace d’une paire de burnes, pressées, là où les mots se donnent, volens nolens, résonnance. De cette résonnance-ci naît automatiquement celle d’entre son œuvre et le monde extérieur, par l’intermédiaire du lecteur qui met tout en branle, triptyque magique. Sans le lecteur, qui libère son parfum, l’œuvre n’existe que dans sa larve métaphysique, son petit écrin de papier inerte. Elle possède en tout cas les ressources et les moyens de trouver, de toute manière, résonnance et raisonnement : elle forme également un biais, protéiforme de surcroît : miroir, pied-de-biche, claque, davier, toit, mitraillette, rallonge, songe éveillé, nef, et cætera.

Pourquoi être lu ?

Pour voir ce que cet acte qui m’est totalement extérieur et indépendant fait à ma maladie : aggrave, tranquillise, dévie, statu quo. Cela ne fait pour le moment pas plus à la fois que l’estocade d’une aiguille chauffée dans une petite cloque gorgée d’eau. Cloque qui se trouve au surplus loin de moi.

Tant que le retour, critique ou non, est possible : pour apprécier l’influence sur moi que peut avoir l’influence que j’ai eue sur celui qui m’a lu. – Et, si d’aventure on adjoint à ma collection de vides avis obséquieux, invalables autant qu’inlavables, directement déportés dans la benne de l’aconstructif, quelques manifestions sincèrement laudatives, peut-être changerai-je de recette. Je goûte la critique et, plus elle sera fondée et dithyrambique, plus je modifierai ma façon de faire. C’est comme ça. Par ailleurs, les hiboux les plus avisés et frondeurs aussi sauront trouver sous leurs coups de férule la meilleur disposition qui soit à la progression.

Pour planter des mots barbelés sur le dos gris de quelques hommes, et les faire saigner un peu du crâne.

Où trouvez-vous votre inspiration ?

Je lis très peu. J’observe mon contexte, le passage, l’appesantissement, le regard de mes semblables : j’en suis le centre indubitable. Je dors, cela me protège de temps en temps. Je pense souvent et prend la tête à Papineau pour pas grand-chose. Je crache et jure encore plus souvent. Puis je plonge dans mon contexte comme dans un tissu d’arrière-pensées : je bavarde prolixement ; je me tais et j’écoute, j’écoute, j’écoute encore, ce dont pas un être sur cent n’est capable, ne conçoit même ce que cela signifie ; j’ai trop écouté, bien trop. Mais surtout, j’angoisse. Et tout cela tourne autour du stylo abstrait qui déambule dans ma tête.

Quel est le plus beau compliment qu’un auteur pourrait vous faire ?

Vos coups de génie m’ont transpercé de part en part comme des harpons en titane. Et le comble : je suis encore en vie.

Avez-vous d’autres projets en cours ?

J’ai deux autres recueils de poèmes en stock, une pièce de théâtre aux considérations politiques, un premier roman, de société si l’on peut dire, puis un deuxième, Ferdinand et Sucien, en cours d’édition chez vous sous le pseudonyme Niâvlys Saïvreguag ; sur l’établi, un nouveau recueil de poèmes, un recueil de nouvelles à peaufiner, des moralités presque à point, un recueil de réflexions hétéroclites qui attend son heure ; qui seront autant de marches de plus à l’escalier en colimaçon (obligatoirement) de mon œuvre et de mon existence, après leur publication – acte hautement symbolique de réification, d’immortalisation (universelle).