Interview écrite

Rencontre avec Stéphane Mourey, auteur de «Le Rêve du cinématographe»
25 mars 2015
Posté par
Flora

Rencontre avec Stéphane Mourey, auteur de «Le Rêve du cinématographe»

Stéphane_Mourey_EdilivrePrésentez-nous votre ouvrage en quelques mots ?
Voici l’histoire : un grand réalisateur parvenu à la vieillesse regarde un film muet dans lequel joue son père, alors jeune homme plein d’avenir. De là, il se remémore l’histoire de la vie de son père, rival jaloux de Chaplin à ses débuts à Hollywood. Puis, il s’endort et le voilà pris dans un cauchemar qui le met face à ses contradictions avec violence : une poursuite avec des personnages impossibles s’achevant… mais je ne peux pas en dire plus.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
J’avais envie d’explorer ce que j’avais à dire sur le cinéma et d’observer comment tout cela pouvait s’articuler en une histoire. Il y a longtemps que le cinéma me fascine : son évolution technique, ses rapports avec l’histoire globale, ses techniques narratives, la situation du spectateur, son influence sur le paysage urbain. J’avais envie d’explorer tout cela et un rêve m’a fourni l’occasion de le faire sur le terrain intime, et donc au plus profond de notre être. J’ai en effet réalisé que l’histoire du cinéma n’était pas si longue et que, sans forcer, on pouvait en couvrir presque l’intégralité en deux générations à peine. On peut donc se placer sur le terrain de la filiation, ce qui permet de donner toute sa profondeur au sujet.

Comment mêle-t-on fantastique et psychanalyse ?
Tout d’abord, « Le Rêve du cinématographe » ne relève pas du genre du fantastique. Bien que la seconde partie se déroule tout entière dans un univers onirique, dans un rêve, celle-ci n’est jamais affirmée comme étant réelle. Le genre du fantastique se distingue justement par cela : l’affirmation de la réalité d’un élément irrationnel. Évidemment, il y a des passerelles nombreuses entre onirisme et fantastique, car, au fond, le contenu émotionnel au travail dans les deux cas est le même : c’est notre fond d’angoisses et de fantasmes. Ce fond, la psychanalyse s’y intéresse, c’est son matériau premier dans sa recherche de compréhension de l’esprit humain. Ainsi, aujourd’hui que la psychanalyse a pénétré si profondément notre culture, les auteurs oniriques ou fantastiques qui réfléchissent à leur pratique d’écriture en viennent naturellement à suivre certains des parcours qu’elle a explorés, sans pour autant l’avoir étudié. Pour ma part, je n’en ai qu’une connaissance lacunaire, ne l’ayant abordé qu’en marge de mes études de philosophie. En écrivant « Le Rêve du cinématographe », je n’avais pas la psychanalyse à l’esprit ; ce n’est qu’après coup que j’ai réalisé qu’il y avait une confrontation entre un père et un fils. Impossible dès lors de ne pas penser à Œdipe, bien sûr. Mais ici le père est déjà mort, même si son spectre paraît bien plus jeune et vivant que son fils. Le fils qui paraît alors ici ne serait pas « Œdipe-Roi » mais « Œdipe à Colone », un Œdipe vieux, fatigué, usé, repenti et aveugle. Il ne cherche plus à tuer le père, mais à se réconcilier avec sa mémoire, à se pardonner lui-même sa faute, à expier.
Donc, pour revenir à votre question, psychanalyse, onirisme et fantastique se mêlent très naturellement les uns aux autres car ils plongent tous les trois vers le fond de notre esprit et y travaillent la même matière, les symboles par lesquels notre inconscient s’exprime.

À quel lecteur s’adresse votre ouvrage ?
Ce livre peut intéresser plusieurs lecteurs : le cinéphile qui retrouvera de vieilles connaissances ; l’amateur de psychanalyse, qui dans la confrontation du père et du fils trouvera sans doute bien des choses intéressantes à dire sur mon compte ; le passionné de fantastique sera captivé au moment où le récit bascule dans l’onirisme.

Quelles sont les principales qualités de votre livre ?
Sa principale qualité tient à la façon dont il parvient à mêler histoire récente, histoire du cinéma et onirisme. L’aspect psychologique est intéressant également dans la mesure où un fils devenu vieux se trouve confronté à l’image de son père encore jeune. Sans voyage dans le temps, ce n’est pas courant. Mais ne dites pas que c’est moi qui l’ai écrit.

D’où vous viennent toutes ces connaissances ? Toute cette passion ?
On ne se documente jamais assez quand on écrit sur un sujet. Pour ma part, plus j’apprends, plus j’ai le sentiment de mon ignorance : mes lacunes me sont à chaque fois plus évidentes, plus palpables. Alors quand vous me demandez d’où viennent toutes ces connaissances, j’ai envie de demander : «Quelles connaissances ?». Vous ne croyez pas ? La question vous semble rhétorique. Elle ne l’ai pas. Laissez-moi vous donner un exemple. Il y a au moins un passage du « Rêve du cinématographe » que j’ai envie de réécrire un jour. Il s’agit du passage où je parle des clowns et de leur adaptation au cinéma. Allez savoir pourquoi, je ne m’étais pas renseigné sur les clowns tant ils me semblaient relever d’une tradition ancestrale, comme s’ils avaient toujours été là. Il se trouve qu’il n’en est rien. Ils sont bien sûr issu d’une tradition ancienne du spectacle, mais l’apparition du clown dans sa forme moderne est contemporaine et concomitante à celle du cinéma. Du coup, la question de la transposition du clown à l’écran, si elle est pertinente, prend la forme d’un dialogue au présent entre deux formes de spectacles qui s’inventent parallèlement, et non, comme je l’ai présenté, un dialogue entre une forme naissante de spectacle avec une autre, plus mûre, voire légèrement archaïque. Du coup, j’ai un peu le sentiment d’avoir commis une «gaffe», du fait de mon ignorance. Je profite de cette interview pour corriger un peu le tir dans l’esprit des lecteurs. Je m’en voudrais de propager des idées fausses…
Sinon, je multiplie les occasions d’apprendre : en voiture, sur les petits trajets, j’écoute France Culture, sur les trajets plus longs, j’écoute des livres audio ; chez moi, lorsque je fais le ménage, je mets des documentaires à la télévision ; tous les soirs, je lis, souvent des livres empruntés à la Médiathèque Municipale ; et, bien sûr, Internet est une mine pour les recherches de tous genres. La connaissance n’est pas innée, elle s’accumule grâce à un esprit curieux et volontaire.
Quant à la passion, elle est première. Elle était là de tout temps, et j’ai réussi à faire en sorte que personne ne la gâche, j’ai su la préserver. J’imagine que pour d’autres, cela peut venir comme une révélation, un coup de foudre, comme on tombe amoureux, suite à une rencontre avec une personne, une idée, un livre. Ce n’est pas mon cas.

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers votre ouvrage ?
Il y a longtemps que je ne cherche plus à transmettre de message lorsque j’écris. En effet, chacune de nos lectures est filtrée par nos opinions acquises, ainsi protégées. Le texte lu est automatiquement rapproché d’idées déjà connues et sera utilisé pour approfondir ce que l’on pense, mais sans modifier réellement notre position, sauf exception. Il peut arriver qu’un texte change radicalement votre vision du monde : c’est déjà une chose rare et précieuse ; mais qu’un texte écrit pour transmettre un message y parvienne serait plus surprenant encore. Qu’on me comprenne bien : il y a des livres éblouissants qui émeuvent profondément et jettent un éclairage lumineux sur des idées jusque là à peine formulées ; pour autant, le fond de votre pensée restera le même. Évidement, il se peut que le texte vous apporte une information nouvelle accompagnant le message, information qui peut vous faire changer d’opinion, éventuellement.
Pour moi, le texte parfait, le texte idéal, est celui qui bouleverse tout homme qui le lit, à tel point que toute sa vie en est changée, qu’il ne peut plus continuer à la mener ainsi qu’il l’a fait jusque-là. Cet idéal d’écriture, ce n’est pas en ayant un joli message bien emballé qu’on peut s’en approcher. L’écriture ne peut alors être qu’une confrontation aux mots. Le premier à devoir être bouleversé par cette écriture est celui qui écrit. Chaque mot que je couche sur le papier vise d’abord à cela : faire s’effondrer tout ce qui, en moi, relève de l’idée préconçue, du déjà pensé, du rassurant. L’inquiétude est le premier moment, le premier mouvement vers le bouleversement.

J’écris pour m’inquiéter d’abord, puis vous inquiéter, en espérant un jour aller au-delà. Un message, même terrifiant en son contenu, a quelque chose de rassurant parce qu’il vient clore une question. C’est dans la direction exactement opposée que je travaille, « Le Rêve du cinématographe » est une petite pierre sur ce chemin.

Où puisez-vous votre inspiration ?
Pour « Le Rêve du Cinématographe », j’ai été d’abord inspiré par deux rêves faits à plusieurs années d’intervalle. Le premier a servi pour la seconde partie du cauchemar du personnage principal, il s’agissait d’un procès se déroulant dans un décor de cinéma, mais où il n’y avait pas de caméra, où les protagonistes n’étaient pas des acteurs. Pour le second, je l’ai quasiment retranscrit à l’identique dans la première partie du cauchemar.
Enfin, mon autre source d’inspiration, je l’ai puisée dans l’histoire du cinéma, depuis son invention et les premières stars, jusqu’aux conséquences du maccarthysme. La figure de Chaplin y est incontournable.

Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?
Je travaille en ce moment à un roman fantastique plus ambitieux, qui place une machine à écrire d’antiquaire au cœur de l’intrigue, véritable cauchemar d’écrivain.

Un dernier mot pour les lecteurs ?
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