Interview écrite

23 octobre 2013
Posté par
Flora

Rencontre avec Sobriquet Schnuki, auteur de  » La fin des années 30 – Tome 1 « 

Sobriquet_Schnuki_EdilivrePouvez-vous introduire, en quelques mots, votre série ?
La fin des années 30 m’intéressait depuis longtemps. Jeune, j’admirais mes parents, mes grands-parents, leurs personnalités, leurs allures, leurs façons de faire et de vivre. J’aimais les entendre me raconter leurs histoires. J’épousais leur époque. Ce n’est que plus tard, que j’ai découvert mon propre univers, bien différent du leur. 
Mon idée était de faire une large fresque de la fin des années 30 en y mettant de très petites touches, comme un impressionniste. Je voulais rendre au mieux les atmosphères. Je voulais faire percevoir l’ambiance du temps par tous les pores. J’ai même essayé d’écrire dans un style qui éveillât tous les sens. J’y ai mis des images, des sons, des odeurs, des goûts, du toucher des années 30. À côté des événements politiques bien connus, je me suis attaché aux lieux, aux activités, aux attitudes et jusqu’aux faits divers.

S’agit-il d’un récit historique ?
Oui, bien sûr, puisqu’il s’agit d’un moment d’histoire. Mais, je n’ai pas voulu faire de l’histoire comme on en fait d’habitude. Je ne crois pas à l’Histoire qui connaît la suite. Ce serait comme un mathématicien qui résout un problème en connaissant la solution. Je refuse le déroulement du passé, enchaîné et préétabli. Si l’Histoire ne laisse aucune place à l’inattendu, ce qui est la vie même, elle ne m’intéresse pas. L’Histoire qui prend parti, qui juge, condamne, qui veut éduquer et convaincre, je la laisse de côté. Je n’aime pas l’Histoire au long cours, l’Histoire de Cro-Magnon à nos jours. J’essaye de faire de l’Histoire à la seconde, de mouvoir les gens dans un univers qui est le leur et dont ils ne distinguent ni les tenants ni les aboutissants. Je veux de vrais hommes qui ne savent absolument pas où ils vont et qui ignorent les ressources qu’ils ont au fond d’eux-mêmes. Les hommes ne sont pas universels. Ils sont de leur époque et de leur milieu. Un poisson n’existe pas hors de l’eau. Nous, tous, ne sommes que des poissons dans l’eau de notre époque.

Pourquoi avez-vous choisi de nous parler de cette époque ?
C’est vrai. On peut choisir n’importe quelle époque pour faire une saga. Tout le passé est intéressant. Mais, ma sensibilité est accrochée aux années 20 et 30. C’est une époque qui est, pour moi, à la fois proche et lointaine. Je m’y sens bien.

Pouvez-vous nous parler un peu des protagonistes de votre série ?
Il n’y a pas d’intrigue centrale. Mes personnages viennent de tous les horizons. Ils sont fictifs, mais, je crois qu’ils sonnent juste. Ils vivent intensément leur temps : mode, radio, cinéma, théâtre, journaux, nouveautés littéraires, manifestations sportives, 14 juillet. 
Je fais vivre mes personnages au quotidien. Je les mets en relation les uns avec les autres. Je les mêle aux événements. J’essaye un peu de les conduire de leur premier cri jusqu’à leur dernier mot.

Quel regard portez-vous sur cette période ?
Je dirai qu’à la fin des années 30, la France est un pays heureux qui s’ouvre lentement à la modernité. On a acquis la certitude que la guerre n’était plus possible. On est pacifiste de façon naturelle et unanime. On a tiré les enseignements de la guerre de 14. On a le sentiment que toutes les forces qui, hier, étaient des sources de guerre comme les capitalistes, les industriels, les diplomates, les hommes politiques, les états-majors, sont désormais converties au pacifisme. La crainte, c’est moins le fascisme que le communisme.

Qu’est-ce qui vous a fait le plus plaisir à écrire ?
J’ai aimé parler des écrivains et artistes américains des années 30. Ils étaient en rupture de ban. Ils cherchaient à faire toutes les expériences possibles. Ils couraient après le hasard. Ils prenaient tous les risques. Ils brûlaient leurs vies par les 2 bouts. Ils renouvelaient l’imaginaire. Ils posaient les jalons de l’art et de la littérature moderne. Ils travaillaient dans l’indifférence, sinon l’hostilité. Les gens n’y voyaient que du feu. Mais eux, ils étaient dans la question. Ils m’ont appris la joie de vivre et l’attrait du hasard.

Y a-t-il des livres ou d’autres sagas qui vous ont servi d’exemples ?
Oui. Le Guerre et Paix de Tolstoï, modèle du genre, mais, aussi, les Rougon-Macquart de Zola, chef-d’œuvre de restitution de la vie et de la société du Second Empire. Plus récemment, je dirai la Roue rouge de Soljenitsyne qui fait si bien revivre la guerre de 14 à l’Est et la genèse de la Révolution russe. 
Toutes ces séries travaillent superbement leurs personnages. On n’y trouve ni thèse, ni logique, ni bons, ni méchants, ni morale ni conclusions péremptoires. On n’y trouve qu’une description pénétrante de leur époque.

Cherchez-vous à faire passer un message politique ou autre ?
Aucun. Je n’ai aucun message à faire passer. Je ne sers rien ni personne. Je ne suis même pas sûr de servir à quelque chose. D’ailleurs, je me demande qui, m’ayant lu, aurait envie de m’embaucher. J’ai voulu lutter contre toute forme de message, d’avertissement, de mémorandum, de « coucou, je suis là ». Je ressemble, peut-être un peu, à ces Français de la fin des années 30 qui n’en pouvaient plus du bla-bla politique. Je crois que la politique pénalise, gêne, bloque et ne suit qu’avec beaucoup de retard la mise à jour des sociétés.

Un dernier mot pour vos lecteurs ?
C’est long à lire une saga de quelque 1 400 pages. Mais, je crois que ceux qui auront la patience de me lire jusqu’au bout, seront récompensés. Ils y trouveront de l’inédit, de l’inattendu, du surprenant, du triste, du drôle, bref tout ce qu’on trouve dans un thriller, une télé-réalité, un gag. En revanche, je déconseille ma série à ceux qui tiennent à une histoire bien huilée, avec un Hitler atroce, un Pétain cacochyme et un De Gaulle cocorico. À ceux-là, je dis : « Ce n’est pas le bon film. »