Interview écrite

7 juin 2013
Posté par
Flora

Rencontre avec Frei Drang, auteur de  » Ad vitam aeternam « 

Frei_Drang_EdilivrePouvez-vous introduire, en quelques mots, votre ouvrage ?
Mon ouvrage s’intitule Ad vitam Aeternam et est paru aux éditions Edilivre en décembre 2012. C’est le premier roman achevé que je produis. Il s’agit d’un roman mettant en scène deux jeunes bisexuels et désorientés, se trouvant l’un l’autre pour parer la douleur de leurs vies respectives et des problèmes qu’ils rencontrent dans l’affirmation et la concrétisation de leurs personnalités. Mais, contrairement à ce que l’on peut s’imaginer, ce livre n’est pas qu’une simple histoire d’amour. Il a surtout à voir avec la recherche de soi, les égarements que l’on peut rencontrer -notamment lors de l’adolescence et des années qui s’en suivent, les rêves -les ambitions- de l’enfance, l’amour passionnel survenant souvent à l’adolescence et dans les jeunes années, au désespoir amoureux pouvant conduire à l’inéluctable…  Et surtout, surtout, c’est un livre portant sur les regrets. Parce que je m’imagine bien qu’ils sont la pire des choses à l’aube de la mort qui vous emporte et que j’aimerais dire ainsi à tous : regarde ! Regarde jusqu’où la fierté et l’attente des événements peuvent nous mener ! Au jour où plus rien n’est rattrapable, où les verrous se ferment et ne se rouvriront plus. Alors, vis ! Et ne désespère pas, tout est encore jouable, si tu vis !

A quelle genre littéraire se rattache-t-il ?
(Rire) Ce genre de question est exactement ce qui me dérange dans notre société actuelle, de même que l’identique message que j’ai voulu faire passer à travers ce roman concernant l’amour et la sexualité : pourquoi toujours des tiroirs où tout ranger et catégoriser ? Mon roman, on peut le rattacher naturellement à un roman « d’amour », mais sa structure s’apparente un peu à celle d’une tragédie, à cause de son dénouement si pessimiste. De plus, j’y mêle une sorte de philosophie personnelle et de l’autobiographie ; forcément, puisque chaque auteur s’érafle le cœur et l’esprit à la recherche de cette substance qui nourrit ses œuvres. Enfin, lorsque l’on écrit, il n’y a pas de genre. La création est universelle.

Votre ouvrage traite de la recherche de l’amour. Pourquoi avez-vous choisi de traiter ce thème ?
L’amour ; c’est le thème le plus important qui puisse exister. C’est la base de toute création, il suffit de regarder Goethe et ce qui fut son premier succès, les souffrances du jeune Werther : c’est d’un amour profond et d’une déception amoureuse que l’encre en a été jeté sur le papier. Et puis, il faut dire que, aimer  passionnément, fusionnellement même, cela m’est arrivé. Une fois. Je me sens plus mature, ma façon d’aimer a évolué ; mais j’ai à cette époque ressenti le besoin de cracher ces sentiments qu’il m’était impossible de dire à l’être concerné. En fait, mes deux premiers romans, celui-ci comme le second, sont égoïstes, je ne les ai écrit que « pour moi », pour évacuer quelque chose. Le troisième manuscrit, celui que j’écris actuellement sera beaucoup plus mature et poussé, aura une véritable recherche littéraire et sera dédié au thème incroyablement complexe de l’adolescence.

Le titre de votre ouvrage, Ad vitam aeternam, renvoie-t-il à la quête d’un amour éternel, absolu ?
Le titre n’a été donné qu’à la fin et je dois dire que l’écriture -l’achèvement plutôt- de ce qui serait sinon, sans nul doute, resté un manuscrit pendant encore quelques années, a été du à la perte d’une personne qui m’était chère. Ce fut pour moi la première fois que j’étais confrontée à la mort de quelqu’un d’extrêmement proche et la seule catharsis que j’ai pu trouver pour faire mon deuil a été de terminer ce manuscrit en Allemagne, où je me trouvais, le jour même de la sépulture qui se déroulait en France. Comme cadeau d’adieu, comme mort d’un être et sa renaissance à travers l’existence de Frei Drang, comme une tentative de donner un sens à la mort et à la disparition. Ad vitam aeternam, qui signifie « pour l’éternité », c’est tout cela. Et puis, c’est une vérité et une promesse aussi : les mots, pour l’éternité. Quoiqu’il se passe, je ne renoncerai jamais à l’écriture.

Quelle vision de l’amour cherchez-vous à faire passer ?
J’ai une vision très personnelle de l’amour, comme tout un chacun sans doute. D’abord, j’ai remarqué que, si l’amour est un sentiment magnifique et puissant, il est souvent utilisé comme prétexte. Prétexte pour ne pas voir ce qui ne va pas, prétexte pour que tout aille bien, prétexte pour que l’autre nous rende heureux. Mais ce n’est pas ainsi que cela fonctionne : je suppose que la plupart du temps, les êtres se trouvent pour que chacun atténue les blessures de l’autre – car nous possédons tous, enfouies, des blessures psychologiques, des troubles ou des peurs plus ou moins importants liés à l’enfance, période de notre vie où nous sommes vulnérables. Mais si un individu n’est pas capable d’être seul avec lui même, de se comprendre, s’analyser parfois même et de se remettre en question, comment peut-il espérer que quelqu’un fasse ce travail pour lui ? On ne peut attendre d’un autre être que soi-même de régler les différents existant entre notre moi actuel et notre moi-enfant, blessé et criant réparation. C’est ce problème que je voulais soulever ici : Will, l’un des personnages, se perd dans ses ambitions et dans l’envie de prouver à tout ceux qui l’ont maltraité enfant qu’il est devenu quelqu’un, il cherche la reconnaissance des autres sans parvenir à se reconnaître lui-même et entre dans le jeu de la provocation à la fois par ses looks extravagants et par son entrée dans le mannequinat. C’est un peu du « Regardez-moi, maintenant vous avez une raison de le faire ».  Andreas, son amant, accepte mal d’aimer un Homme, a un problème dans la relation face à ses parents, puisqu’ils n’osent leur faire face pour leur dire ce qui est et, par la suite leur parler de ce qui le ronge. Lui aussi nécessite cette reconnaissance d’autrui et cette espèce de « popularité » qui protège sa véritable personnalité blessée étant plus jeune.

En traitant de l’amour homosexuel, voulez-vous transmettre un message particulier ?
Bien entendu ! L’homosexualité est un thème actuel et quelque chose d’extrêmement important à aborder. En m’attachant à ce thème, je reviens à ma définition de l’amour. Car je ne suis pas d’accord avec nos termes concernant ce sujet : je pense qu’il n’existe ni « hétérosexualité », ni « homosexualité ». Ces termes, qui semblent, dans notre monde, s’exclurent l’un l’autre, se base sur les préférences sexuelles, et part d’ailleurs du principe que les individus stagnent et n’évoluent pas, restant enfermé dans ce tiroir dans lequel ils ont été, à un moment de leur vie, enfermé. Or, l’être humain, en inventant ce mot « amour » et en lui donnant une définition et une dimension dépassant le simple but naturel de la procréation, y a mêlé des sentiments profonds, tellement intenses qu’ils en dépassent toute catégorie pour ne plus devenir qu’universels. Car l’on ne tombe pas amoureux d’un genre, féminin ou masculin, mais bien d’un individu. Sinon ce n’est pas de l’amour, juste du sexe. Aimer, c’est découvrir ce que l’on juge être, selon nos critères, une belle âme et vouloir être là pour elle, la soutenir et lui donner tout de l’affection dont on est capable. C’est subjectif, aléatoire, imprévisible, bref, c’est beau.

Un dernier mot pour vos lecteurs ?
Croyez en vos rêves, mais prenez garde à leur évolution, ne vous enfermez pas dans de l’acharnement. Sachez pourquoi vous faites ce que vous faites, que, surtout, cela soit pour vous et non pour d’autres ou pour des blessures -refoulées ou non. Aimez, brûlez de tout votre être, mais sachez vivre avec vous avant de demander à l’autre de vous sauver de ce que vous même ne comprenez pas. Enfin, surtout, oubliez les qui-propos, les « quand dira-t-on », la peur trop grande des conséquences ou des avis d’autrui. Osez être ce que vous sentez dormir en vous, accomplir ce qui creuse un quelque chose manquant dans votre poitrine. Vivez chaque jour comme s’il devait être le dernier -tout en gardant la possibilité de construire des projets sur le long terme ; car qu’on ne sait jamais.