Interview écrite

7 mai 2012
Posté par
Marie

Rencontre avec…Christelle Mansour

 

Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce témoignage ? Puis à le publier ?
L’anorexie est une maladie grave, très grave. On peut en mourir. J’ai été malade plus
de 20 ans et je suis descendue très bas. Je reviens en effet de bien bien loin !
Une simple remarque sur notre morphologie à une période sensible de notre vie
(adolescence…), le diktat du corps parfait, un chagrin d’amour, une dépression
passagère, un manque de confiance en soi, un besoin d’attirer l’attention, etc : on
peut plonger rapidement, insidieusement, et se retrouver dans un cercle infernal dont
on ne peut plus s’échapper, une sorte de sable mouvant.
Les sites (« proana ») qui font l’apologie de la maigreur et « vendent » l’anorexie
comme la clé du bonheur me révoltent profondément. L’anorexie, c’est l’enfer. Et
lorsque vous avez mis un pied dedans, il est très difficile d’en sortir.
Cependant, aujourd’hui, je retrouve peu à peu le goût de vivre, j’ai une vie
sociale équilibrée: j’ai des ami(e)s, un travail qui me passionne (je suis professeure
des écoles : je m’occupe d’enfants souffrant d’un handicap cognitif, d’un handicap
moteur, et pour certains de troubles du comportement), des relations plus apaisées
avec mes parents, je suis amoureuse, et je vis avec ma fille de 8 ans dans une jolie
petite maison. Quoi demander de plus ?

C’est donc un cri d’alerte autant qu’un message d’espoir que j’ai envie d’envoyer
aux lecteurs.
Et puis, ce livre est un moyen d’expliquer à ma fille cette maladie si incompréhensible
qu’elle côtoie et subit depuis sa naissance.

Ce livre a-t-il été une thérapie pour vous ?
Oh que oui ! Écrire est un moyen de poser les choses, mettre des mots sur un vécu
douloureux ou au contraire heureux, et ainsi s’en débarrasser en quelque sorte. Ou
plutôt éviter qu’elles continuent à tournoyer dans notre esprit.
C’est un travail rétrospectif très intéressant, qui permet de comprendre, d’analyser
avec le recul certains comportements : une sorte de psychothérapie différente mais
complémentaire de celle que je suis dans un cabinet de façon hebdomadaire depuis
2006.
Et puis, quel plaisir d’écrire ! Se lever à 3 h du matin, alors que tout est paisible, pour
essayer de trouver le mot juste, afin de retransmettre au mieux nos émotions, éviter
les répétitions, se créer un style : c’est un réel bonheur.

Voulez-vous aider d’autres malades ?
J’ai PERDU 20 ans de ma vie, mon adolescence, j’ai fait souffrir terriblement
ma famille (s’en m’en rendre compte), ma fille subit encore les reliquats de ma
maladie… Alors oui ! Il faut impérativement que cela puisse servir à d’autres ! Au
moins, cela aura valu la peine !
Suite à une conférence à la librairie MONTBARBON de Bourg-en-Bresse et à mon
passage sur TF1 dans l’émission « sept à huit », un certain nombre de jeune filles ou
femmes qui souffrent de la maladie, m’ont contactée par l’intermédiaire d’internet. Je
continue à correspondre avec celles qui en ont envie, j’essaie de les soutenir.

Une prochaine rencontre est prévue à la librairie MONTBARBON le mardi 15 mai,
à 19h : une sorte de groupe de parole pour échanger sur nos ressentis, nos espoirs,
nos douleurs… Je vais également rencontrer Mme PARIS, directrice du GEFAB de
Lyon (Groupe d’étude français sur l’anorexie et la boulimie) et voir si je peux être
utile. Par ailleurs, je dois rencontrer un parterre de médecins et infirmiers du CPA
de Bourg-en-Bresse à la mi-juin, afin de leur faire part de ce qui a pu m’aider, ou au
contraire me freiner dans ma « guérison » (même si le chemin n’est pas terminé!!), et expliquer où j’en suis actuellement. Il s’agit juste d’un témoignage, d’une
expérience de vie, mais qui pourra, je l’espère, servir à certains.

Enfin, je vais peut- être intervenir dans certains collèges de ma région, aux côtés
d’une infirmière scolaire, pour faire de la prévention…
Les familles sont très en demande. En effet, on ne peut pas comprendre l’anorexie
si on ne l’a pas vécue de l’intérieur. Pour Mr Toutlemonde, souffrir d’anorexie,
c’est arrêter de manger. Or, c’est bien plus profond que cela. Cela conditionne tout
votre vie: vous vous transformez totalement. Il n’y a plus de place pour rien sauf la
douleur, la frustration, l’auto mutilation, l’isolement.

Quel est le plus beau compliment qu’un lecteur vous ait fait ?
Une remarque revient régulièrement et me rend folle de joie : « Cela se lit comme un
roman, je n’ai pas pu m’en décrocher avant de l’avoir terminé.»
Et puis « Merci d’avoir mis des mots sur ce que je ressens. Je me suis retrouvée
en vous. Cela me donne donc de l’espoir, on peut s’en sortir. »
Ou encore : « On a du mal à comprendre cet acharnement pour la souffrance.
Cela donne le vertige, j’avais envie de vous crier de vous réveiller de ce mauvais
cauchemar ».
Cela prouve que j’ai atteint mon but : les gens découvrent ce qu’est vraiment
l’anorexie et les ravages qu’elle peut engendrer.

Vous dites ne pas vous considérer comme guérie : pouvez-vous expliquer
cela ? J’ai vécu un véritable séisme, et tout n’est pas encore simple. Je sais que je peux
compter sur ma psychiatre, véritable béquille. Je dois me reconstruire, réapprendre à
prendre plaisir et cela prend du temps…
Sinon, en ce qui concerne les repas, je n’en fais qu’un seul par jour : le soir. Et ma
nourriture reste très sélective (haricots verts, poisson blanc à l’eau…). Mais mon
poids est stable et ma dépendance au sport est devenue raisonnable.
J’ai la vie devant moi, plein d’expériences à vivre. Je ne suis blasée par rien du tout.
Ma fille est en pleine forme : son énergie et mon rôle de maman me tirent vers le
haut. Et puis, l’amour me donne des ailes, donc… on verra ce qui m’attend.

Avez-vous en tête d’autres projets ?
Oui, bien sûr ! Plein ! Mais je ne veux pas m’éparpiller de trop !
Pour l’instant, j’aimerais que mon livre puisse atterrir dans les librairies, afin de
toucher un plus large public. Et je rêve de rencontrer des responsables, des
professionnels afin que puisse être créée dans chaque région une « MAISON DE
SOLENN ».

Vos proches ont-ils apprécié votre livre ?
Ma maladie reste tabou dans ma famille proche, donc seule ma maman et ma sœur
aînée ont lu mon livre. Je crois que cela est trop douloureux pour mon père, il ne le
lira jamais. Quant à ma sœur Carole, et à mon frère : je n’ai eu aucun retour. Par
contre, mes cousins, tantes etc… l’ont lu et cela m’a énormément touchée que mon
histoire les intéresse car nous nous nous sommes vus une seule fois en 23 ans. Ils
ont juste halluciné, car ils ne se doutaient pas de l’enfer que représente l’anorexie.