Interview écrite

Rencontre avec Bouroubi Saïd, auteur de « Les Fantômes rebelles »
7 juin 2017
Posté par
Flora

Rencontre avec Bouroubi Saïd, auteur de « Les Fantômes rebelles »

Bouroubi Saïd_edilivreDans quelle région habitez-vous en France ? Sinon, dans quel autre pays ?

Je suis né, et j’ai toujours grandi en Kabylie, dans la wilaya de Boumerdès. J’ai vu la lumière à Bordj Menaiel, dans une époque dite d’ouverture démocratique, et de l’éveil identitaire, en 1987, dans une Algérie en lutte pour la reconnaissance de tous les droits basiques de ses citoyens, une Algérie héritière d’une culture millénaire.

 

Présentez-nous votre ouvrage.

L’histoire se déroule dans une époque où l’identité des citoyens, leur identité millénaire est complètement reniée, et remplacée par une autre identité mythique qui avait été l’axe sur laquel le pouvoir en place justifie ses pratiques. C’est un roman qui, au-delà de tous les rivages politiques et idéologiques, raconte l’histoire d’un enfant qui grandit au milieu d’une famille où le père a renié, lui aussi, ses origines pour s’intégrer dans l’espace du pouvoir dans lequel il pense avoir droit, mais la mère de l’enfant Jigo (le diminutif de Jugurtha, un roi numide) un nom que sa mère lui donna puisqu’on lui a interdit d’avoir un nom étranger qui n’a aucun rapport avec l’idéologie officielle de l’État. L’histoire est divisée, en fait, en deux espaces différents, mais qui sont en fait, identiques, car le premier raconte l’évolution de l’identité de cet enfant, et le deuxième celle d’un grand officier, enfant d’un Régime, qui va renier ses origines, pour lutter contre toutes les menaces extérieures. Un jour, quand l’éveil identitaire touche une large part de citoyens, on annonce l’état d’urgence, affirmant qu’une étrange maladie touche les citoyens de la république. Le colonel allait, lui seul, lutter contre ce ‘cancer’ qui envahit toute la société, et menace la cohésion nationale. L’amour rentre, cependant, au milieu de la voie pour troubler tous les calculs et toutes les visions…

 

Pourquoi avoir écrit ce livre ?

C’était nécessaire pour moi de l’écrire. Durant toute mon existence, j’avais été marqué par deux évènements majeurs dans l’Algérie du XX siècle : l’éveil démocratique avec notamment la lutte pour la reconnaissance de l’identité berbère de l’Algérie, et l’émergence au début des années 1990 de terrorisme islamiste, donc d’une idéologie qui fait de la violence dans toutes ses formes une voie et une ligne pour régner. Cette idéologie domine les consciences avant les cœurs, et les avilit pour en faire des objets et souvent des cibles. La violence islamiste m’a profondément blessé, comme des millions d’algériens qui ont vécu, et dans leurs tripes, la tragédie d’un pays qui se faisait tuer durant plus d’une décennie. Avoir écrit ce roman était un devoir envers moi-même d’abord, ensuite, en reconnaissance à tous les journalistes, les écrivains, et tous « les chevaliers de la libre expression » qui se sont sacrifié pour la démocratie et la dignité.

 

À quel lecteur s’adresse votre ouvrage ?

Mon roman ne s’adresse pas à une minorité quelconque, ou à un groupe aussi restreint qu’il soit, mais à la conscience humaine, et à tous les êtres qui, en voulant exprimer leurs différences, se voient bannis de l’existence, et mis en banc des accusés, calomniés, voire accusés de tous les maux. La tendance de l’être humain à préserver son identité contre toutes les atteintes idéologiques, contre toutes les visions « fascisantes » est une victoire contre le mal qu’il se fait, ensuite, une preuve tangible de son attachement à la vie authentique, à la vie dans sa richesse et sa profondeur. En sauvegardant sa personne, c’est une vision qu’il protège, c’est un monde qu’il enrichit.

 

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?

En utilisant le savoir et la science pour neutraliser les citoyens, et en faire, des sujets soumis, le pouvoir ne fait qu’exacerber chez eux une envie de se révolter. Toutes les autorités du monde essaient de contrôler les êtres humains, et ce sont les oppresseurs eux-mêmes qui tombent souvent comme victimes des systèmes qu’ils avaient pourtant aidés à se maintenir. Un dictateur peut-il voir son visage réel dans un miroir ? Peut-il admettre la réalité de celui qu’il est ? Un dictateur a toujours peur de sa propre image, et de celle que le peuple présente pour lui. C’est en bannissant les autres qui lui font face, qu’il peut dominer, même si la peur l’habite jour comme nuit. Seule une voix libre peut casser toutes les barrières, toutes les autorités qui rejettent le changement. Mon message est simple : « exister c’est lutter » !

 

Où puisez-vous votre inspiration ?

Deux auteurs m’ont toujours influencé, et continuent encore, même de loin, à baigner mon imagination. Gabriel Garcia Marquez et la possibilité qu’il m’a donné de concevoir la réalité grâce à la profondeur de ses personnages, et cette puissance « magique » de percevoir le monde, de l’interpréter en toute quiétude. Mais aussi, au-delà, de tous les rouages des pouvoirs ‘caricaturés’ qu’on trouve dans sa plume. La plume plus que puissante d’Alexandre Soljénitsyine et le réalisme psychologique qu’il avait réussi à créer dans ses personnages, m’ont fait rêver durant des années. « Le pavillon des cancéreux », « Une journée dans la vie d’Ivan Denissovitch », mais aussi et surtout, son « L’archipel du Goulag » m’ont convaincu du pouvoir de l’écrivain sur tous les pouvoirs qui veulent bannir la mémoire, le passé et la conscience.

 

Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?

La situation du monde musulman, et le rapport plus qu’inquiétant entre l’Orient et l’Occident m’inquiète de plus en plus, mais aussi m’intéresse. Je travaille actuellement sur un roman qui va dans le sens de la recherche de l’histoire de la violence islamiste, et la responsabilité d’un monde occidental qui « mondialise » toutes les cultures du monde, et la décadence plus que millénaire d’un monde musulman qui se déchire, se cherche. Mon roman prochain construira l’histoire personnelle d’un musulman qui a vécu dans les deux mondes et qui essaie de justifier sa vision dans le monde et du monde.

 

Un dernier mot pour les lecteurs ?

J’ai des feuilles merveilleuses à vous transmettre, et des mots que j’ai forgés dans mon petit cahier d’écrivain. J’écris en rêvant, et je rêve en écrivant, mes pages sont puissantes, et mon unique objectif est de vous faire plaisir…je crois en vous, alors croyez en moi !