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17 mars 2020
Posté par
AA Victoria

L’expression de la semaine : Un remède de bonne femme

« Un remède de bonne femme »

ORIGINES

Voilà une expression fort intéressante à la fois par l’évolution de son sens et par ce qui est généralement cru de son origine.

Si, au cours d’une promenade dans un lieu fréquenté, vous abordez quelques personnes présentes et leur demandez quelle est l’origine de cette expression, la plupart de ceux qui seront persuadés d’avoir la réponse vous diront que le femme de notre expression est en fait une déformation de l’ancien français fame qui voulait dire « renommée ». Autrement dit, on utilisait avant de bonne fame, venu du latin bona fama, pour dire « de bonne renommée » et, le mot fame (qu’on retrouve aujourd’hui dans des mots-dernes comme fameux ou mal famé) ayant été oublié, il s’est transformé en son homophone femme à l’écrit. Par conséquent remède de bonne femme devrait s’écrire remède de bonne fame pour dire « remède de bonne renommée ».
Et c’est une explication qu’on trouve effectivement dans de très nombreux ouvrages et, par conséquent, de nombreux sites internet. Son seul mais principal inconvénient est qu’elle est fausse, malgré le fait qu’elle semble parfaitement tenir la route.
En effet, il est peu probable que vous trouviez un ouvrage ancien où remède de bonne fame existe. Oh, vous trouverez aisément beaucoup de livres parus jusqu’au milieu du XIXe siècle où l’on parlait de bonne fame (ou famé) et renommée (preuve que le mot était encore connu tardivement, ne justifiant pas son remplacement par femme), généralement en évoquant le besoin de rétablir celle de quelqu’un ayant été injustement accusé de quelque chose, mais point de bonne fame dans un contexte type de l’utilisation de notre expression [1]. Par contre, vous trouverez de nombreux remède de bonne fame dans des ouvrages publiés à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, date où la fausse origine a commencé à se répandre.
En fait, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, notre femme n’est rien d’autre qu’une femme ; et l’évolution de sens du syntagme bonne femme explique les deux significations assez opposées proposées pour notre locution.
Bonne femme apparaît au milieu du XVIIe siècle et désigne à la fois une femme bonne et une femme âgée, donc d’expérience, ce qui explique la connaissance par cette dernière de remèdes simples pour soigner de nombreux soucis physiques, remède devant bien sûr être compris comme quelque chose qui guérit un mal quelconque.
En 1693, on trouve sous la plume de Valentin Esprit Fléchier, évêque de Nîmes, dans son Histoire du cardinal Ximenès la phrase suivante : « Qu’elle espéroit pourtant avec l’assistance de Dieu, sous la protection duquel étoit ce grand Homme , que dans huit jours elle le guériroit par le moyen de quelques simples, dont elle connoissoit la vertu ; qu’elle demandoit pour toute grâce qu’on n’en parlât pas aux Médecins, qui se moquent de ces petits remédes de femmes. »
Et nous voilà déjà dans les remèdes de femmes, pas encore bonnes (et non de fames), mais on va rapidement y venir.
En effet, cinq ans plus tard, dans Pratique spéciale de médecine, écrit par Michael Ettmüller, on trouvera ceci : « Cette bonne femme n’ignoroit pas que le vin tiède bu après l’enfantement étoit merveilleux pour refaire les accouchées ».
Voilà donc une bonne femme, incontestablement une femme bonne, dont la renommée n’est pas évoquée, et qui connaît un remède pour vite retaper une de ses consoeurs qui vient d’accoucher.
Même si elle n’est citée par l’Académie française que dans la version de 1798 de son dictionnaire, notre expression apparaît au début du XVIIIe siècle.
On la trouve par exemple chez Philippe Hecquet dans son Observations sur la saignée du pied paru en 1724 : « Mais suivant ce détail, qui est d’après les Auteurs qui la donnent au public, l’inoculation est une pratique populaire, un remède de bonne femme, ramassé de parmi un peuple ignorant (…) ».
Nous y sommes ! La bonne femme, celle qui a suffisamment d’expérience pour connaître bien des choses de la vie, sans forcément être allée aux écoles, connaît, par transmission orale probablement, nombre de remèdes simples mais utiles pour soigner de nombreux bobos, ce qui explique le premier sens de l’expression, sans avoir besoin d’aller chercher le fameux bona fama.
Et parmi ces remèdes, je ne résiste pas au plaisir de vous en livrer un publié en 1768 dans le Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle : « Le bouillon de taupe est un remède de bonne femme pour guérir les enfants de l’incommodité de pisser au lit ». Donc, si votre enfant souffre d’énurésie nocturne, il vous suffit d’attraper et de faire cuire à l’eau quelques taupes et de lui faire boire le bouillon ainsi obtenu.
Malheureusement, au fil du temps, la femme bonne du premier bonne femme est progressivement devenue une emmerdeuse, une femelle qui se mêle de choses où elle ne devrait pas mettre son trop grand nez, une papoteuse ou bavasseuse qui distribue sans parcimonie son fiel sur le dos des absentes, en bref une pas grand chose qui agace. Le syntagme est en effet devenu suffisamment péjoratif [2], et cela dès le XIXe siècle, pour qu’une fois associé au remède, il en désigne un forcément sans intérêt et très probablement inefficace.
[1] Pour enfoncer encore le clou, Furetière au XVIIe siècle (époque de l’apparition de l’expression) indiquait « Fame…, renommée, réputation. Il n’est en usage qu’en cette phrase de pratique: Rétabli en sa bonne fame et renommée ».
[2] Quel homme n’a pas, au moins une fois dans sa vie, levé les yeux au ciel en disant quelque chose comme « Ah, ces bonnes femmes ! », phrase pleine de sous-entendus négatifs.

Exemple

« (…) elle ressemblait à ces malades arrivés à un état désespéré qui essaient de toutes les recettes et se confient même aux remèdes de bonne femme. »
Honoré de Balzac – La maison du chat-qui-pelote – 1830

« Un remède de bonne femme »