Tous les 2e mercredi du mois

Articuler un bon thriller…


Une superbe nana a été kidnappée et tu penses bien que ton personnage ne va pas rester de marbre face aux cris stridents de cette diva en devenir, et donc va tout faire pour la sauver des griffes de ses agresseurs aux tympans agressés ! Mais avant, il y a la bombe placée sous la voiture qu’il faut désamorcer au plus vite… Mais comme un problème ne vient jamais seul, voilà que l’immeuble où se situe le parking a pris feu ! Décidément, ce n’est pas sa journée ! D’autant plus qu’en voulant sortir de cette fournaise, il se retrouve face à un revolver pointé sur lui… Alors, maintenant, que faire ?

Un thriller est un récit qui tient en haleine, rempli de tensions et d’impasses, où le personnage est en permanence confronté à un environnement hostile et doit essayer de s’en sortir pour atteindre son but. Un bon thriller mine le sommeil du lecteur, l’accompagne dans le métro bondé quand il se re-trouve debout une main accrochée pour ne pas tomber (encore faut-il qu’il en ait la place à 7 heures du mat sur la ligne 13 de Paris…) et l’autre essayant de tenir le bouquin ouvert tout en tournant les pages (quelle prouesse digne d’un superhéros !). Ce personnage haut en couleur qui anime le récit le suit durant sa pause déj quand il devrait reposer son cerveau ou répondre à un des trois cents messages laissés par sa maman cette semaine… Il est encore là quand le lecteur s’installe initiale-ment pour deux minutes aux toilettes, monopolisant l’unique coin d’aisances de l’étage pour une durée indéterminée…
Bref, ce besoin vital de savoir comment se termine ce chapelet d’aventures (ou de mésaventures), le front plissé, les yeux ahuris, la bouche en cul-de-poule, les cheveux ébouriffés par une main tremblante, empêche notre bon lecteur de sortir de cette intrigue avant le point final.
Mais comment créer un tel artifice fait de papier et de mots ?
Voici quelques conseils pour conce-voir un thriller qui rend la vie impossible à ses lecteurs !

Thriller
 
1 – Créez un vilain intéressant et complexe.
Un vilain angoissant

Dans un thriller, tout comme dans la vie réelle, un conflit n’a jamais comme protagonistes « un bon et un mauvais », c’est toujours plus complexe que ça. Votre personnage principal doit avoir des capacités exceptionnelles qui l’aident à dépasser les obstacles, qu’elles soient physiques ou intellectuelles, ou bien encore surnaturelles (pourquoi pas des superpouvoirs ?).
Toutefois, gardez-vous bien d’en faire un être parfait, car en plus de nous le rendre désagréable (jalousie, quand tu nous tiens…), il peut vite être lassant. Le lecteur accrochera plus facilement avec un héros (ou héroïne) qui présente des imperfections humaines, des défauts qui nous collent aussi à la peau, et si ceux-ci le gênent dans le déroulement de l’histoire et le rendent parfois faible, assurément, une tension se fera sentir un peu plus à chaque page.

Faites une liste des qualités et des défauts du personnage avant de vous lancer dans l’écriture et essayez de le placer dans le synopsis pour qu’il soit la plupart du temps en difficulté ou sur le point de faillir.

2 – Démarrez en action.
Action thriller

— Centrale de la police, quelle est votre urgence ?
— Allô ? Mon nom est Deborah Cooper, j’habite à Side Creek Lane. Je crois que je viens de voir une jeune fille poursuivie par un homme dans la forêt. […]


Vous reconnaissez ce début ? Ce sont les deux premières lignes de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert écrit par Joël Dicker, gros succès littéraire de la deuxième décennie du XXIe siècle, gagnant du prix Goncourt 2012. Rien qu’en lisant ce court passage, vous serez d’accord avec moi, une seule chose nous vient en tête : prendre connaissance du contenu qui nous attend durant les 900 pages qui composent le reste du récit, d’où cette envie subite d’en savoir toujours plus. Qui est cette jeune fille ? Cette Deborah Cooper (certains d’entre vous reconnaissent sûrement l’allusion à ce nom de famille…), a-t-elle une vue à faire pâlir les opticiens du quartier, ou bien est-ce une pauvre dame seule qui passe son temps sur son mirador à la quête du scoop de ce début de siècle, qu’elle pourrait simplement inventer pour donner du relief à sa triste vie ? Mais si ce qu’elle a vu n’est pas sorti de son imagination débordante de nonagénaire en manque d’action, qui est ce monsieur qui poursuit la jeune fille ? Un fan qui souhaite un autographe de son idole ? Un prétendant éconduit qui insiste (le bougre !) pour lui remettre sa carte de visite ? Ah vraiment ! Pourquoi courent-ils donc ?!

La scène d’ouverture d’un roman policier doit présenter le crime, le conflit ou les enjeux le plus rapidement possible. Ne vous lancez pas sur la description de votre héros, qui d’ailleurs fait partie des abonnés absents en ce début d’intrigue (il faut bien qu’il se sente désiré, quand même !).
Les meilleurs thrillers accrochent leurs lecteurs avec une action instantanée pour donner, plus tard, les informations nécessaires sur le personnage et le scénario.

3 – Maintenez la tension à haut niveau.

Tout au contraire de la vie réelle, si vous voulez que votre lecteur reste collé au bouquin, il faut que ce soit « stressant » (ce qui, en temps normal, vous est fortement déconseillé, dixit notre ami le doc).
Un bon commencement est essentiel, mais ce n’est que le commencement (justement) d’un déroulement qui devrait amener à un climax, c’est-à-dire à un moment de tension maximale, souvent vers la fin du thriller. Notre héros doit être de plus en plus en difficulté, les conflits entre les personnages de plus en plus tendus et les obstacles de plus en plus insurmontables.
Au niveau du style d’écriture, n’incluez que les détails qui font avancer l’histoire, évitez les descriptions trop longues et réalistes qui risqueraient de faire tomber l’intrigue tel un soufflé présenté aux convives trop tôt… et soulignez la relation chronologique entre les événements, en faisant une piqûre de rappel de l’urgence du but, de la date limite, du manque de temps qui écarte le protagoniste de son objectif. Le lecteur doit être abruti par la rapidité à laquelle le sablier se vide, par le son des aiguilles de cette satanée horloge : tic-tac, tic-tac, tic-tac… et le coucou qui surgit de sa boîte alors que notre héros est en train de désamorcer la bombe qui était sous sa voiture ! Arf ! Les nerfs sont mis à rude épreuve !

Un autre outil pour marquer la temporalité et l’urgence, c’est de faire travailler le lecteur. Appuyez-vous sur les éléments propres à l’histoire, mais aussi à ceux appartenant aux personnages. Ce ne sont pas toujours les références temporelles tacites qui donneront le plus d’urgence, mais plutôt les situations ou caractéristiques liées à la trame qui laisseront le lecteur faire ses propres connexions.

Suspense
Dans un thriller, le suspense mène la barque, laissant le héros ramer comme il peut dans les tourbillons de l’intrigue. D’ailleurs, ne vous êtes-vous jamais demandé comment vous êtes arrivé à laisser de côté toutes les tâches que vous vous étiez données à faire dans la journée, simplement pour voir le dernier épisode de votre feuilleton préféré ?
Bon, d’accord, Harry était en mauvaise posture la veille, vous ne pouviez le laisser galérer tout seul, tout de même ! Enfin… le secret est dans la tension, surtout en fin de chapitre !
Bon, OK, quelques minutes de plus sur son trône pour connaître la suite, ce n’est pas grave, les autres peuvent bien attendre sur le palier !

Allez, tournons la page, notre héros nous y attend pendu à un balcon au 30e étage… Position pas très confortable, faut bien le dire !

4 – Choisissez un final satisfaisant

Le plus logique ce serait de terminer son récit avec un «happy ending» après une foule de péripéties dignes d’un marathon en haut du mont Everest couru par notre superhéros.
Pourtant, ça ne doit pas être une règle stricte. Je pense, par exemple, à Véra va mourir, écrit en 1986 par Ruth Rendell, gagnante du prix Allan Poe. En effet, on connaît depuis le début l’identité de l’assassin, mais on en ignore les motivations et même les victimes. Et là, patatras, à la toute fin, une petite in-formation arrive comme un cheveu sur la soupe et nous oblige à repenser toute l’histoire et en l’occurrence à la relire avec un regard différent. Pas plus de détails, je ne voudrais pas être accusée de spoiling, mais c’est tout de même un très bon exemple d’un super-thriller au final pour le moins inhabituel.
Selon l’histoire que vous choisissez, il se peut que la clé de voûte ne soit pas forcément sur la résolution du mystère, mais ailleurs, surprenez vos lecteurs !

Pour conclure

Le terme « thriller » contient, en vrai, énormément de sous-catégories : policier, horreur, espionnage, thriller psychologique… la liste est vraiment longue et les possibilités d’expérimenter innombrables.
Lisez, plongez-vous dans les bouquins de vos auteurs préférés pour trouver votre inspiration, essayez de nouveaux titres qui vous sont inconnus, ils pourraient cacher des surprises très intéressantes.
En fin de compte, laissez votre héros vous rendre la vie impossible par ces artifices de papier et de mots. Vous ne le regretterez pas, même pas dans la ligne 13 du métro parisien, à 7 heures du mat, en mode apnée parce que le nez plongé dans l’aisselle de votre voisin qui se tient accroché à la barre.