Interview écrite

14 janvier 2016
Posté par
Guillaume

Rencontre avec Maurice Germain, auteur de « Renversements »

Dans quelle région habitez-vous en France ? Sinon, dans quel autre pays ?
J’habite au Québec (Canada) depuis 1990

Présentez-nous votre ouvrage ?
C’est une histoire centrée sur la solitude et l’amour qui se passe dans les années 90 du XXe siècle. Il s’agit d’un couple d’immigrants qui cherche une meilleure vie sous d’autres cieux, mais finalement ce n’est pas te thème de l’immigration qui est fondamental. Ce qui compte est le foisonnement vital d’une autre société, la joie de recommencer une deuxième vie, le mélange d’ambitions et résignation, les reflets de l’histoire collective sur la vie quotidienne, les débats et la confrontation d’idées,  le vécu des personnages principaux qui, tiraillés entre présent et passé, trouvent des solutions illusoires  pour arriver à un équilibre fragile.

La période de cette histoire n’a pas été choisie au hasard. Les années 90 au Canada et dans le monde constituent une période charnière qui se trouve  à l’origine de plusieurs développements de nos jours:. On a eu une décennie marquée par la chute mondiale du communisme, le génocide de Tutsis au Rwanda, les guerres de Yougoslavie, l’élargissement de l’Union européenne. Ces événements composent un tréfonds qui domine la sensibilité du personnage principal. Quant au  Canada, c’est la période des débats identitaires intenses qui ont conduit, en 1995, au référendum pour le maintien ou la séparation du Québec du Canada.  Cet événement et son contexte, amplement évoqués, sont une vraie colonne vertébrale du livre qui sépare en deux parties distinctes la vie du couple immigrant formé de Maria et Paul Casimir.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Pour décrire, pour évoquer la vie du Québec, telle que vue par les yeux de quelqu’un venu de loin. On dit que la plupart de livres sont plus ou moins autobiographiques. Mais il ne faut pas généraliser. C’est vrai dans le sens qu’un auteur doit écrire sur ce qu’il connaît mieux. J’ai eu une expérience complexe – sociale, culturelle, professionnelle,  – reliée à mon établissement au Canada  qui se voit dans le vécu de mes personnages. Pour le reste, pour l’histoire principale du couple protagoniste, c’est de la fiction.. Mais autobiographiques sont les questions et les problèmes qui se posent plusieurs personnages, chacun à sa façon. Ce sont des questions sur le poids du passé à l’approche de la vieillesse, sur l’échec et la réussite, sur la solitude, sur les renversements individuels ou collectifs qui minent la continuité et les évolutions cohérentes, sur les métamorphoses de l’histoire. J’expose avec sympathie, parfois ironiquement, parfois avec compréhension ces réflexions qui sont comme un sort de mortier entre les personnages. En fait, la société du roman est naturellement réflexive sans pédanterie et orgueil.

À quel lecteur s’adresse votre ouvrage ?
Je pourrais dire que, par défaut, Renversements s’adresse aux lecteurs qui, de près ou de loin, ont un lien quelconque avec l’expérience de l’émigration/immigration. Dans nos jours tout le monde à un tel lien. Même si on n’a pas une  expérience directe, on peut avoir des amis, des collègues ou des voisins, qui se trouvent dans une telle situation. Mais l’ouvrage s’adresse également à tout lecteur qui aime les histoires sensibles, où l’humour s’associe avec l’ironie et la gravité et qui, en plus, stimulent l’imagination et la réflexion.

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?
J’ai voulu me départir de l’esprit dominant dans la littérature consacrée aux immigrants. Dans cette littérature il s’agit presque toujours d’un dialogue difficile entre l’immigrant et la société d’accueil. Par contre, pour les personnages de mon roman, même s’ils sont pauvres, l’expérience de l’émigration  n’a rien de traumatisant. Ils se sentent vite à l’aise comme les poissons qui changent de rivière et qui retrouvent spontanément leurs repères. Car l’émigration est, en fait, une constante de la condition humaine de toujours et de partout. Bien sûr, elle implique  une kyrielle de problèmes. Quitter un pays c’est quitter une langue, une société, une culture, un ensemble  de routines pour d’autres. C’est, dans une certaine mesure, un nouveau début. Cependant, mes personnages ne sont pas désemparés car, partiellement, c’est la même chose quand on change de ville, quand on quitte la province natale  pour s’établir dans une autre province,  quand on change d’entreprise ou même quand on s’intègre, par mariage, dans une autre famille. Ce n’est pas l’essence du problème, qui diffère,  mais seulement l’ordre de grandeur et le nombre de variables touchées.

Où puisez-vous votre inspiration ?
Dans  la réalité environnante, dans la psychologie, l’histoire personnelle et les mentalités de gens. Comme je l’ai déjà dit, j’ai une expérience complexe avec des hauts et des bas qui m’ont mis en contact avec des dizaines de gens intéressants, immigrants et québécois.  Je regarde ce qui se passe autour de moi, je suis les émissions de télévision et les débats d’idées,  j’écoute les bulletins de nouvelles, je réfléchis à moi, à mes amis et connaissances, à nos vies, à tous.

Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?
Renversements est mon cinquième livre, une réécriture intégrale d’une version antérieure publiée en roumain, La clepsydre. Je travaille maintenant à deux autres projets en français, un  roman et un volume d’essais sur la lecture.

Un dernier mot pour les lecteurs ?
Je considère l’empathie de mes lecteurs comme une collaboration importante à ce que j’écris. Pour mériter le temps qu’ils  dépensent à me lire, j’essaie de leur proposer des lectures agréables et en même temps enrichissantes.