Interview écrite

Rencontre avec Chris Kalenge, auteur de « Au cœur de la guerre : Témoignage d’un rescapé de la guerre du Congo »
27 juillet 2015
Posté par
AA Victoria

Rencontre avec Chris Kalenge, auteur de « Au cœur de la guerre : Témoignage d’un rescapé de la guerre du Congo »

Chris_Kalenge_EdilivrePrésentez-nous votre ouvrage ?
Le livre parle de la première guerre de la République démocratique  du Congo (RDC — ex Zaïre) de 1996 à 1997 et de la seconde (1998-2003) qui a connu la participation de plus de sept pays africains dont l’Angola, le Zimbabwe, la Namibie,  le Rwanda, l’Ouganda, le Burundi et le Tchad. Il raconte comment des soldats gouvernementaux, des forces rebelles, des mercenaires, des enfants soldats, des groupes d’autodéfense, des guerriers traditionnels, la population, des politiciens, des ONG et des journalistes interagissent dans le cadre d’un conflit armé. Dans ce livre, les rebelles sont des combattants tutsis congolais et d’anciens chefs rebelles zaïrois (soutenus militairement par le Rwanda et l’Ouganda) qui, en vue de revendiquer leurs droits civils et politiques, ont fait le choix de plonger le pays entier dans la guerre, déclenchant ainsi une série de conflits armés qui perdurent jusqu’à ce jour. Selon certaines sources, ces conflits armés ont fait plus de 6 millions de morts en RDC. Ces guerres ont poussé une grande partie de la population, y compris ma famille, à abandonner leurs résidences habituelles pour s’enfuir à travers les brousses et les forêts du nord et de l’est de la RDC. Je raconte donc le parcours des déplacés de guerre, plus particulièrement, celui de ma famille composée de neuf personnes en 1996 (mes parents, mes deux frères et mes quatre sœurs), partant de la chute de la ville de Bukavu en 1996 jusqu’à la bataille de Kinshasa  en 1998. En effet, tout au long de notre parcours, nous avons fait face non seulement aux rebelles tutsis congolais appuyés par l’armée rwandaise mais aussi aux guerriers traditionnels (Maï-Maï) et aux soldats gouvernementaux en déroute. En ce qui concerne les journalistes, je fais référence à la journaliste française assassinée au Mali en 2013, Gislaine Dupont. Elle travaillait comme reporter de RFI en RDC au cours de cette période. Je raconte aussi comment son action a affecté notre sort.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Tout a commencé en 2010 lorsque j’étais encore étudiant auprès de l’ « Institute of Advanced Study » de Pavie, en Italie. Après avoir participé à un cours sur l’histoire de l’Afrique au cours duquel le professeur essayait d’expliquer la crise politique et humanitaire en RDC à une classe composée d’étudiants venus d’Asie, d’Europe, des Amériques et d’Afrique, j’ai remarqué que la complexité de cette crise, liée notamment à l’implication d’un grand nombre d’acteurs a fait que les étudiants se sentaient un peu perdus. Dans ce contexte, j’ai demandé au professeur de m’accorder l’opportunité d’ajouter quelques informations à son exposé et ce dernier a accepté ma proposition. C’est ainsi que j’ai brièvement raconté ce que j’avais vécu durant les deux guerres de la RDC comme témoin direct. Après mon exposé, plusieurs étudiants étaient en mesure de se faire une idée un peu plus claire des différents acteurs impliqués dans ces conflits ainsi que de leurs rôles et leurs motivations. Certains étaient touchés par mon expérience et m’ont encouragé à écrire ce livre. Mais la situation politique de mon pays ne me permettait pas d’aborder un tel sujet en toute liberté dans un livre et, personnellement,  je n’étais pas prêt à réveiller les mauvais souvenirs. Toutefois, j’avais décidé d’organiser des séminaires pour aider les étudiants italiens et ceux venus d’ailleurs à bien comprendre les différents conflits armés qui affectaient et qui affectent encore la région des Grands Lacs (Afrique). Cependant, en novembre 2012, lorsque le groupe armé M23 a pris le contrôle de la ville de Goma malgré la présence des casques bleus de la MONUSCO, la plupart des médias internationaux n’évoquaient que  les échanges des tirs de roquette entre Palestiniens et Israéliens qui ont eu lieu au cours de la même période. C’était aussi le cas à l’université. En ce moment précis, j’ai réalisé qu’en tant que rescapé de la guerre du Congo, c’était mon devoir de sensibiliser mon entourage sur ce qui se passait dans mon pays et de parler en faveur des victimes de ces conflits armés, tout en manifestant le même respect pour les victimes des conflits israélo-palestiniens. Ainsi, j’ai demandé au directeur de notre institut l’autorisation d’organiser une conférence sur la crise humanitaire dans la région des Grands Lacs. À l’issue de la conférence, plusieurs participants m’ont encore encouragé à écrire ce livre pour sensibiliser le grand public sur ces conflits souvent passés sous silence malgré le grand nombre d’acteurs impliqués et les millions des morts qu’ils ont causé. C’est ainsi que j’ai pris la décision d’écrire.

Pourquoi  l’avoir écrit maintenant et pas en 2012 par exemple ?
En 2012 mon pays faisait encore face aux rebelles du M23. La priorité était donc de stopper l’avancée de ce groupe rebelle. L’autre raison était que je voulais écrire le livre comme une fiction mais deux amies (une américaine et une italienne) m’ont conseillé de raconter l’histoire vraie sous forme d’un témoignage. J’ai donc commencé à écrire le livre en 2013 mais les événements vécus dans le passé me perturbaient psychologiquement car je les revivais, et c’était difficile pour moi. À un moment, j’en suis même arrivé à abandonner l’écriture que j’avais commencée. Cependant, en août 2013 quand je suis rentré en RDC pour faire une recherche sur les conséquences de la migration irrégulière entre la RDC et l’Angola, j’ai ressenti quelque chose de différent. En effet, ce retour après quatorze années passées à l’étranger m’a complètement bouleversé; cela m’a aussi beaucoup aidé psychologiquement. Ma présence dans  les villages situés le long de la frontière entre la RDC et l’Angola ainsi que de longs parcours en brousse me faisaient revivre chaque événement vécu durant les deux guerres. La visite de la tombe de ma mère décédée en 2009 quand j’étais encore en Algérie a aussi produit quelque chose de fort en moi. Je me sentais maintenant prêt à affronter mon passé. J’ai aussi réalisé que plusieurs de mes compatriotes avaient du mal à comprendre le cycle des conflits armés que le pays connaissait. Certains n’arrivaient pas à établir le lien entre la situation politique et sécuritaire du pays et ce qui s’était passé en 1996 à Bukavu et à Goma. Ainsi, je m’étais dit que la meilleure manière de mettre mon pays à l’abri des guerres dans l’avenir, était de s’assurer que le peuple connaissait bien son passé et qu’il était en mesure d’établir le lien entre ce passé et le présent. Par conséquent, dès mon retour en Italie en octobre 2013, j’ai décidé de poursuivre le travail que j’avais commencé. Dans le premier Chapitre du livre, j’évoquais déjà Ghislaine Dupont avant d’apprendre quelques jours plus tard son assassinat et celui de Claude Verlon au Mali début novembre de la même année. Cette nouvelle m’a beaucoup bouleversé et m’a aussi donné la force de finir le livre ainsi que de rendre hommage au travail énorme que Ghislaine Dupont a accompli dans mon pays.

Comment avez-vous choisi le titre « Au cœur de la guerre » ?
Vous savez, je ne dirais pas que j’ai « choisi »  ce titre ;  en fait, il s’est imposé de lui-même. Comme les lecteurs le remarqueront eux-mêmes, plusieurs fois,  lorsque les militaires commettaient des exactions, ils les justifiaient en disant « Nous sommes en pleine guerre ». De même, lorsqu’on demandait aux autorités militaires de punir des auteurs des ces actes ils disaient «  Nous sommes en pleine guerre nous devons éviter de susciter des conflits internes entre soldats ». En outre, le récit est raconté de manière à faire plonger les lecteurs au cœur de la guerre congolaise.

À quel lecteur s’adresse votre ouvrage ?
Ce livre s’adresse à tous ceux qui sont préoccupés par les questions liées aux conséquences des conflits armés sur l’humanité, notamment aux défenseurs des droits de l’Homme, aux universitaires, à ceux qui étudient les migrations forcées, aux journalistes qui travaillent en zones de conflits et à tous ceux qui aiment la région des Grand Lacs. En résumé, j’ai écrit ce livre pour qu’il puisse servir d’outil de sensibilisation sur les conséquences des conflits armés d’une manière générale. C’est ma modeste contribution au travail énorme que beaucoup d’acteurs font déjà dans ce domaine.

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?
J’ai voulu montré que la guerre est mauvaise. Elle fait beaucoup de morts et de pauvres mais peu de riches. Il suffit de voir la RDC aujourd’hui, à qui la guerre a-t-elle profité ? Les anciens rebelles sont aujourd’hui parfois ministres ou chefs au sein de l’armée pendant ce temps les réfugiés et les déplacés de guerre vivent dans des camps de fortune.  À travers ce livre j’envoie aussi un message aux journalistes qui travaillent dans des zones de conflit. Il est important qu’ils comprennent qu’ils constituent parfois la seule source d’information crédible pour les populations abandonnées par leurs autorités. Dans ce contexte, les informations qu’ils fournissent peuvent sauver des vies ou piéger des  populations, selon que ces informations sont crédibles/fiables ou non. Des fois, des amis rwandais et ougandais ne comprennent pas les raisons de la colère de certains Congolais envers quelques leaders politiques de leurs pays. À travers ce livre, je leur donne une idée de ce que les congolais ont vécu et vivent encore comme conséquences d’une guerre importée. Ceci, afin que nous puissions travailler tous ensemble main dans la main pour faire de la région des Grands Lacs un lieu de paix.

Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?
Dès que j’ai fini l’écriture de ce livre, j’ai commencé à écrire un autre livre dont le titre provisoire est « L’identité d’un Migrant ». Ce livre est en quelque sorte une continuité du livre « Au cœur de la guerre ». Il se focalise sur le parcours d’un homme qui est à la fois rescapé d’un conflit armé africain et migrant international. Le livre raconte comment ces deux expériences contribuent à la formation de l’identité de cette personne et comment elles influencent ses choix et sa vision du monde.

Un dernier mot pour les lecteurs ?
Je remercie, à l’avance,  mes lecteurs pour l’intérêt et l’attention qu’ils porteront à cet ouvrage et au message qui l’accompagne. Je compte organiser dans les prochains jours des rencontres et groupes de discussions sur le livre dans différents lieux en France, en Italie, en Belgique, en Suisse et ailleurs. Ces rencontres seront des opportunités pour discuter du contenu du livre et pour  répondre aux questions des lecteurs. Les rencontres organisées à l’initiative des lecteurs sont aussi les bienvenues. Pour garantir notre participation, il suffit de nous contacter via notre site internet www.chriskalenge.net ou via notre éditeur. Les lecteurs sont aussi invités à s’abonner à la page Facebook dédiée au livre (www.facebook.com/AU.COEUR.DELA.GUERRE.DUCONGORDC) où les informations utiles pour la compréhension du contexte politique et sécuritaire en RDC (ex-Zaire ) sont publiées.