Interview écrite

Rencontre avec Eutrope, auteur de « Un couchant des Cosmogonies ! »
28 avril 2015
Posté par
Flora

Rencontre avec Eutrope, auteur de « Un couchant des Cosmogonies ! »

Eutrope_EdilivrePrésentez-nous votre ouvrage ?
«Un couchant des Cosmogonies !» est un recueil de contes que j’ai empruntés à des traditions populaires ou que j’ai inventés.
Le narrateur est un journaliste, un aventurier alcoolique, cynique et… à vrai dire, minable. Il va de pays en pays pour recueillir des contes et des légendes. Il a un projet: écrire un livre avec tout ça. On le suit dans ses voyages. Il emporte partout de quoi noter, de quoi enregistrer…
Au début, il n’y croit pas. Il veut juste faire un bouquin et le vendre. Et puis, peu à peu, il met en perspective les récits qu’il rapporte de ses voyages, et il constate que certains thèmes reviennent souvent. Ce sont des préoccupations profondément humaines, je crois. Et il me semble qu’elles indiquent une certaine unité du genre humain, et, peut-être au-delà, de la Vie, telle qu’elle existe sur Terre…
Voilà. C’est de ça que j’ai voulu parler dans mon livre.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
Et pourquoi pas ?
Il se publie tellement de choses qui le méritent à peine ! tellement de brouillons tachés de fautes… tellement de livres à succès par toujours les mêmes auteurs… que je me suis dit que je pouvais bien essayer d’écrire quelque chose qui essayerait d’être intelligent…
Mais je ne suis pas un militant.
J’ai écrit ce livre parce que j’aime bien écrire et que c’est l’inspiration qui m’est venue, tout simplement. Je n’ai rien voulu «prouver» ni «démontrer» : je ne savais pas quel sujet j’allais traiter avant de commencer. Les choses que j’exprime dans ce livre, ce doivent donc être des choses qui me tiennent à cœur… et j’espère qu’elles plairont à quelques lecteurs! Ils doivent être trois ou quatre, pour l’instant… C’est mieux que les «amis choisis de Montaigne et La Boétie». Je n’espérais pas être aussi élitiste…

Que signifie votre titre ?
«Un couchant des Cosmogonies !», c’est le premier vers d’un poème de Jules Laforgue qui s’appelle Complainte sur certains ennuis.
«Un couchant des Cosmogonies !», pour moi, ça veut dire que c’est la fin des cosmogonies, c’est-à-dire la fin des récits des origines, la fin des mythes, des contes et des légendes. À l’époque de Jules Laforgue, au tournant du XIXème et du XXème siècles, on ne croyait plus aux mythes, aux légendes. On entrait dans une période scientifique, voire scientiste. On se voulait froid, technique. En fait, je crois qu’on se déshumanise, quand on cesse de croire à une transcendance, fût-ce à la «transcendance de l’immanence» que revendique aujourd’hui Michel Onfray…
Le «couchant des cosmogonies», c’est un peu la fin de l’Histoire, au sens où c’est la fin de l’Humanité. On cesse d’être humain dès lors qu’on rejette la pensée mythique. Je ne dis pas qu’il faille la prendre au pied de la lettre, je ne dis pas qu’il faille «croire» absolument et se convertir à toutes les religions; mais il me semble que les superstitions, les croyances, font partie de nous et qu’il faut accepter ce fait pour se rendre capable de le dépasser. Le cynisme, le scepticisme, le scientisme sont au fond des idéalismes car ils ne prennent pas en compte l’Homme tel qu’il est.
Prendre acte du «couchant des cosmogonies», c’est donc souscrire à une morale triste. Cela signifie qu’on entre dans une époque où on ne croit plus en rien: «Dieu est mort !», gueule Nietzsche. Ça a quelque chose de désespérant, de romantique: la volupté des larmes. On s’abuse, on s’entretient dans son spleen, parce qu’on n’accepte plus que le mythe fasse partie de l’Homme.

Or, le mythe est nécessaire à l’Homme ! Non pas qu’il soit vrai. Mais nous ne sommes pas parfaits: nous sommes vivants. Nous accomplissons plusieurs fonctions: une fonction reproductrice, par exemple, qui nous résume à un support de la vie, un relais, que nous le voulions ou non… Nous succombons à la colère, à la tristesse, à la raillerie, parfois sans raison ou sans comprendre la raison profonde qui nous pousse à ressentir ceci ou cela… Nous ne sommes pas des êtres froids, raisonnables, parfaits, qui pouvons nous dispenser aisément de croire, qui pouvons nous passer gratuitement de Dieu. Nous sommes des animaux grégaires, et nous croyons les mêmes choses que les autres Hommes du même troupeau… Parmi les athées d’aujourd’hui, combien de conformistes dont les parents étaient catholiques également par conformisme ? Il n’y qu’à voir la violence avec laquelle certains font état de leurs convictions nihilistes. Ce ne sont pas tous des scientifiques tranquilles, il y en a beaucoup qui y «croient», qui s’en sont fait une religion. Et, à l’inverse, parmi les croyants ? Surtout parmi les croyants de cette jeune religion qui fait tellement d’émules ? Combien d’esprits entêtés qui ne prennent plaisir qu’à la contradiction ?
Quand on prétend chasser le mythe hors de l’Homme, vous voyez qu’il revient au galop !Voici le poème dont est tiré le titre :

Complainte sur certains ennuis, Jules LAFORGUE (1860-1887)
Un couchant des Cosmogonies !
Ah ! que la Vie est quotidienne…
Et, du plus vrai qu’on se souvienne,
Comme on fut piètre et sans génie…
On voudrait s’avouer des choses,
Dont on s’étonnerait en route,
Qui feraient une fois pour toutes !
Qu’on s’entendrait à travers poses.
On voudrait saigner le Silence,
Secouer l’exil des causeries ;
Et non ! ces dames sont aigries
Par des questions de préséance.
Elles boudent là, l’air capable.
Et, sous le ciel, plus d’un s’explique,
Par quel gâchis suresthétique
Ces êtres-là sont adorables.
Justement, une nous appelle,
Pour l’aider à chercher sa bague,
Perdue (où dans ce terrain vague ?)
Un souvenir d’AMOUR, dit-elle !
Ces êtres-là sont adorables !

D’où vous vient cet engouement pour la philosophie ?
La «philosophie» signifie littéralement «l’amour de la sagesse». C’est donc un engouement en soi, et même plus : un amour !
Je n’ai pas la prétention de me croire philosophe ; mais, rechercher la vérité, essayer de comprendre les choses, essayer de se connaître soi-même, pour essayer de se comprendre, voilà qui me semble fondamental ; et voilà qui, me semble-t-il, devrait être la préoccupation fondamentale de tout le monde. Ce qui est vrai, ce qui est faux, d’ailleurs, tout le monde en discute, tout le monde s’y intéresse, en tous cas, tous ceux qui ont encore à peu près les pieds sur terre et qui ne se droguent pas avec tel auteur à succès: est-ce qu’il est vrai que telle star ait fait telle ou telle chose ? On l’apprend dans «Closer» ! Quant à «Paris-Match», «L’Équipe», les pages saumon du «Figaro», ce sont encore des formes diverses de la recherche de la vérité…
Tout ce qui a du succès a trait à la recherche de la vérité. Tout ça «plus» la drogue : en littérature, par exemple, tel ou tel auteur trop facile… mais nous pourrions également citer l’indigence de certains programmes télévisuels… Le succès de toutes ces choses imbéciles n’est pas seulement le fruit d’une immense subvention qu’offre volontiers le capital à la médiocrité bénigne. Il nous apprend quand même quelque chose sur l’être humain; cet être humain qui aime, quelquefois, se bercer d’illusions, de mythes, qui choisit lui-même son «opium», cet être humain qui aime également, parfois, avec une ardeur terrifiante, se galvauder et rouler son esprit dans la fange d’une littérature défécatoire…

À quel lecteur s’adresse votre ouvrage ?
Mon livre s’adresse à tout le monde ! Enfin, pour l’instant, il s’est surtout adressé à trois personnes, mais j’espère qu’à l’avenir, son lectorat s’élargira -je vise une bonne douzaine de ventes, d’ici la fin juillet, si tous mes amis qui font semblant de l’avoir lu finissent par l’acheter…

Quels conseils donneriez-vous à ceux qui rêvent mais n’osent pas encore
écrire sur la philosophie et ou la sociologie ?
Je n’ai aucun conseil à donner. Je ne m’y sens absolument pas autorisé. Je crois que quand on compose humblement, honnêtement, sa propre recherche de la vérité, alors on fait nécessairement de la philosophie, de la sociologie. Ces deux champs d’investigation de la pensée sont des outils pour tâcher de comprendre l’Homme.
De même, s’intéresser à l’Histoire, c’est s’intéresser à l’Histoire des Hommes, c’est donc se rendre capable de comprendre les constantes, les invariants des sociétés humaines; c’est un premier pas vers la sociologie, vers la psychologie…
De même, s’intéresser à différentes cultures et les comparer… à différentes langues… à différentes philosophies…
Il y a ainsi une multitude de sujets qui amènent, à mon avis, aux mêmes conclusions. Si votre sujet vous tient à coeur, si c’est votre manière d’exprimer votre compréhension du monde, alors, écrivez. Il se peut que vous augmentiez la richesse, la diversité du monde; et si ce n’est pas le cas, que risquez-vous ? de ne pas être lu ? ou qu’on vous trouve mauvais ? Qu’est-ce qui est le pire, d’ailleurs ?
J’ai trois lecteurs qui, parce qu’ils sont très polis, ont trouvé mon bouquin super! Je les en remercie beaucoup mais ça me fait une belle jambe: j’aimerais mieux 1,7 millions de personnes qui trouvent pas top mais qui achètent quand même, en passant, à la gare…

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers ce livre ?
Encore une fois, je n’ai rien voulu; ce livre est venu à moi sans que je l’aie prémédité.
Un message serait que, sous des angles différents, toutes les civilisations regardent la même réalité. Nous avons des points de vue différents mais sur un même objet: sur le même monde, sur le même Homme. Ah ! Certes ! Il y a des différences, qu’il ne faut pas prendre à la légère ! Telle chose qui, à vous, vous semblera très courtoise, à tel autre semblera une insulte intolérable! Et puis, parmi les philosophies, toutes ne se valent pas, il faut faire le tri… et retirer dans chacune ce qui vous semble bon. L’éclectisme, contre le dogmatisme ! Et je veux parler de tous les dogmatismes ! Il y a, bien sûr, dans l’actualité, un dogmatisme religieux, islamiste, mais il y a aussi un dogmatisme de la gauche bien-pensante qu’il faut également récuser…

Où puisez-vous votre inspiration ?
Je puise mon inspiration dans la réalité, dans la vie; dans mes lectures, aussi, quand j’y reconnais la vie, qui s’y reflète.

Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?
Je dois publier prochainement un recueil de poésies et de poésies en prose, ainsi qu’un livre dont la longueur est entre la nouvelle et le roman; l’équivalent d’un «short novel» anglais. Il s’appellera « Rowan Oak » ; c’est le nom de la maison de William Faulkner, en Louisiane.

Un dernier mot pour les lecteurs ?
Je les remercie de l’attention qu’ils ont bien voulu me prêter. J’espère que mes livres plairont à ceux qui les liront. Toutefois, si un nombre incroyable de gens décidait d’acheter mon livre sans avoir aucunement l’intention de le lire, comme on achète un prix Goncourt, je crois que je ne me formaliserais pas…