Interview écrite

Rencontre avec Denise Berry, auteure de « Les origines méconnues de nos lycées professionnels »
21 février 2014
Posté par
Flora

Rencontre avec Denise Berry, auteure de « Les origines méconnues de nos lycées professionnels »

Denise_Berry_EdilivrePrésentez-nous votre ouvrage en quelques mots ?
Cet ouvrage s’interroge sur l’image négative qui « colle à la peau » des lycées professionnels.
La première partie de l’ouvrage est purement historique, retrace l’histoire des centres de jeunes travailleurs développés sous Pétain pour les jeunes inoccupés, leur transformation à la Libération en centres d’apprentissage, puis en CET, enfin en lycées professionnels.
La seconde partie est une tentative d’analyse de ces divers centres, de leur formations, effectifs et méthodes pédagogiques. La fin de cet ouvrage est consacrée à une réflexion quant au devenir des lycées professionnels, en concurrence avec l’apprentissage contrôlé par les entreprises et réalisé en alternance.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
J’ai écrit ce livre pour quatre raisons.
La première : ayant fait toute ma carrière dans ce type d’établissement où j’ai été, je crois, un professeur respecté et heureux, je ne supportais plus la dévalorisation dont le lycée professionnel est l’objet alors que les formations qu’il propose sont porteuses de débouchés. C’est aussi au lycée professionnel que l’on trouve le plus grand nombre de « décrocheurs ». Pour comprendre ce problème, il faut étudier les systèmes qui nous différencient des autres pays et cela ne peut se faire qu’à travers l’histoire de cette institution qui n’a pas beaucoup intéressé les historiens jusqu’à présent.
La deuxième, c’est que si l’on compare les systèmes allemands et français, on se rend compte que l’état français a toujours eu la mainmise sur la formation professionnelle et que les entreprises se sont défaussées de leur devoir de transmettre un savoir-faire, ce qui n’est pas le cas en Allemagne.
La troisième raison c’est qu’il fallait rendre justice à celles que je nomme les pionnières de l’enseignement professionnel et qui m’ont transmis leurs écrits. Leur travail n’a pas toujours été reconnu. Certaines d’entre elles, pourtant réintégrées dans l’éducation, ont été dégradées d’une fonction de Chef d’établissement à simple professeur. L’heure du pardon n’a-t-elle pas sonné malgré leurs « fautes » ou leurs « erreurs » si nous les jugeons telles ? Je leur avais promis de le dire lors de nos entretiens.
La quatrième raison, ce sont les menaces qui pèsent à présent sur l’enseignement professionnel en concurrence avec les centres privés de formation d’apprentis CFA, qui préparent à des diplômes en alternance. L’alternance est précisément le choix du gouvernement.
Il faut également considérer le fait que le lycée professionnel, parce qu’il accueille désormais des BTS du supérieur, fait double usage selon Antoine Prost, spécialiste de l’éducation, avec le lycée technologique. En même temps, il ne s’occupe plus du public pour lequel il a été créé : les jeunes inoccupés.

A quel lecteur s’adresse votre ouvrage ?
Mon ouvrage s’adresse à un public très large, celui qui est concerné par l’école : les institutions d’éducation, la Région, les formateurs, les futurs profs de lycées professionnels, les parents d’élèves et aussi les élèves eux-mêmes afin qu’ils n’aient plus envie de cacher leur lieu de formation, mais qu’ils en soient fiers.

Quelles sont les principales qualités de votre livre ?
Il est difficile d’être à la fois juge et partie. La principale qualité, c’est la recherche de la vérité. Comme le dit Jean Jacques Servent Schreiber : « Il faut dire tout ce qui est vrai ». Cette vérité, je l’ai recherchée à travers les archives régionales, départementales et municipales où j’ai retrouvé l’historique de tous les établissements de formation professionnelle, même pour la période de l’occupation 1942-1943. C’est aussi un témoignage de vie laissé par la génération de professeurs qui m’a précédée et qui terminaient leur carrière quand je commençais la mienne. Par les illustrations et les photographies, les témoignages, les élèves pourront se représenter ce que furent les divers apprentissages, dans une région essentiellement agricole.

Quel message avez-vous voulu transmettre à travers votre ouvrage ?
Mon travail est plus l’analyse d’une situation et la connaissance d’une réalité passée sous silence que la transmission d’un message. S’il faut parler d’un message, je dirais à la jeunesse que l’école et l’apprentissage d’un métier sont des choses trop importantes pour que l’on ne les fasse pas avec passion.

Où puisez-vous votre inspiration ?
Je l’ai trouvée dans mon vécu, ma réalité professionnelle pendant quarante années.
J’ai eu l’occasion de faire des échanges avec d’autres pays (Espagne, Algérie, Italie, Angleterre) et de connaître d’autres systèmes de formation.

Quels sont vos projets d’écriture pour l’avenir ?
Étant atteinte d’un maladie grave, je ne sais pas si j’aurai le temps d’avoir des projets d’écriture mais j’ai, de par ma situation, connu pas mal d’hôpitaux, de médecins et de personnels soignants et j’ai des choses à dire sur ce sujet. Je viens de passer six semaines dans un centre de rééducation fonctionnelle et il se trouvait que dans ma chambre, une petite araignée avait fait son nid dans le système d’arrosage anti-incendie. Chaque matin, je la voyais courir autour, mais sans s’éloigner vraiment. Alors j’ai imaginé ce que pouvait être sa vie… Au cours de mes insomnies, je me suis mise à lui raconter mes malheurs. Je voudrais en faire une nouvelle mêlant fiction et réalité. Je ne sais pas ce qu’elle sera mais je sais avec certitude que je l’appellerai : « Une araignée au plafond ».

Un dernier mot pour les lecteurs ?
Il y avait sous Pétain des milliers de jeunes sans bagage ni formation professionnelle, dans les villes, sur les routes de la débâcle ou, comme le raconte la série « Un village français », dans les forêts parce qu’ils ne voulaient se rendre au Service du Travail Obligatoire (STO). Pour eux ont été créés les Centres de formation de jeunes travailleurs. Aujourd’hui, avec la crise, il y a aussi des milliers de jeunes qui décrochent sans obtenir aucun diplôme. Pour faire quoi ? Sans diplôme ni formation on est rien sur le marché du travail.